minotaures par Yannis Ezziadi.

Le titre est celui du bouquin que je viens de terminer, écrit par Yannis Ezziadi, magnifique “auteur”, entendu comme celui qui “accroit”.

Le matador français Sébastien Castella aux arènes de Séville, en octobre 2023. CRISTINA QUICLER / AFP

Mieux que moi, Eugénie Bastié, une des meilleures chroniqueuses du politique et du culturel (Le Figaro a de la chance), dont je ne connaissais pas l’aficionado nous donne son commentaire que je reproduis ci-dessous (copyright Le Figaro).

La corrida, miroir inversé du monde moderne

Par Eugénie Bastié

Publié le 12/04/2024 à 19:32, mis à jour le 15/04/2024 à 09:40

BIBLIOTHÈQUE DES ESSAIS – Dans Minotaures, Yannis Ezziadi se livre à un éloge de la corrida. Un essai ciselé et flamboyant qui touchera même ceux qui sont hermétiques à ce spectacle sanglant.

Œil noir brillant, large sourire, cheveux de jais mi-longs : ne serait-ce son air espiègle et son rire franc bien trop légers pour une telle destinée, Yannis Ezziadi a des airs de matador en civil. On l’imagine assez facilement en collants, culotte et veste dorée face au soleil brûlant dans l’arène. Mais il a plutôt la psyché du toro que celle du torero : il fonce dans toutes les muletas sans conscience du danger. Un goût de la provocation qui l’a conduit à organiser, en décembre dernier, la fameuse « pétition » en faveur de Gérard Depardieu signée par une cinquantaine de personnalités du monde du cinéma, dont plusieurs se sont désistés par peur du scandale qu’a provoqué la tribune. Faire scandale ne lui fait pas peur. Loin de s’être assagi, Ezziadi poursuit avec panache sa défense des causes perdues avec Minotaures, un essai ciselé et flamboyant sur la corrida.

Le jeune homme raconte son amour pour « cet art dans lequel on entre comme en religion ». Rien ne prédestinait ce Franco-Tunisien, né en Seine-et-Marne en 1991 de parents commerçants, à rencontrer la tauromachie. Il y a quatre ans, son regard tombe sur deux dessins dans l’album de Montherlant de la « Pléiade » : Juan Belmonte toréant nu à l’entraînement, et un puissant taureau chargeant la muleta. « La rencontre de l’élégante fragilité du torero et de la force brute et massive de la bête m’avait saisi ». Il se plonge dans Jean Cau, Cocteau, Montcouquiol, puis le 15 août 2020, il pénètre pour la première fois de sa vie dans des arènes à Béziers.

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« Quand on met un pied dans cette folie, il faut que le reste y passe. » Ezziadi s’immerge tout entier avec la fièvre du converti. Comédien formé par Galabru dégoûté du théâtre contemporain qu’il trouve fade, lisse et relâché, il a retrouvé dans les arènes la liturgie, la tragédie, les costumes d’or et de sang qu’il ne retrouvait plus sur scène. « C’est en France que dans les coulisses de théâtres de pierre se trouvent une chapelle pour que les acteurs prient et une infirmerie pour qu’ils se sauvent de la mort », écrit-il. Dans ce livre intense à la fibre littéraire, il a recueilli les confidences de toreros, comme Carlos Olsina, qui lui dit qu’il ne quitte pas la bête des yeux quand il danse, du directeur des arènes de Madrid et pape de la tauromachie Simon Casas, d’aficionados comme Jacques Durand.

On croisera aussi dans ce livre les cornes tachées de sang de l’élevage de Muria, le plus féroce qui soit, le fantôme de Manolete, le charmeur de serpents Sébastien Castella. La corrida, nous dit Yannis Ezziadi est un « vestige insolent », le miroir inversé d’une époque

Ezziadi n’élude pas la question du bien-être animal. Il s’est aussi rendu auprès des éleveurs de toros pour comprendre comment vivaient ces bêtes vouées à la tragédie. « Si je devais me réincarner en animal et que j’ai le choix entre un husky dans un appartement, une vache à lait, une perruche en cage et un taureau sur les terres de Robert Margé, se promenant à son gré, sauvage et rebelle, mourant au combat couvert de gloire, mon choix serait prompt et sans aucune hésitation. » Il en discute avec Alain Finkielkraut, qui lui confie ses doutes, bouleversé après avoir assisté à la plus belle corrida du siècle à Nîmes.

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On croisera aussi dans ce livre les cornes tachées de sang de l’élevage de Miura, le plus féroce qui soit, le fantôme de Manolete, le charmeur de serpents Sébastien Castella. La corrida, nous dit Yannis Ezziadi est un « vestige insolent », le miroir inversé d’une époque qui ne propose que « du fric, de la gentillesse et de la bienveillance ». Un théâtre de sang, d’or et de lumière, un lieu de verticalité où la mort n’est pas éludée. Le contraire du grand avachissement qui règne dans le divertissement de masse.

On sort envoûté de ces pages pleines d’une ferveur qui touchera même ceux qui sont hermétiques à ce spectacle sanglant, pour peu qu’ils soient ouverts à la grâce que permet seule la littérature.

PS MB. Je n’ai pas, pour des motifs que j’ai oubliés, assisté à cette “corrida du siècle” à Nîmes, le 16 septembre 2012, qui aurait ébranlé Alain Finkielkraut, dans ses doutes. Celle où le matador José Tomas a affronté 6 toros de plusieurs élevages. Pour ce qui me concerne, la corrida du siècle (certes, le précédent) est celle du jour où j’ai découvert, comme Ezziadi, le spectacle, pour m’y plonger sans retenue. C’était celle du 22 septembre 1984, où Paco Ojeda, torero de paradis, a combattu également, contre six toros un après-midi du 22 Septembre 1984, toujours à Nîmes. Je la conte dans ce billet :

https://michelbeja.com/toro-toro-confessions-dun-aficionado

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