Help, fin, trouvé.

Dans un précédent billet, j’appelais à l’aide, évidemment sans réponse eu égard à l’absence radicale de notoriété de mon site, presque camouflé et volontairement inconnu de presque tous, sauf une poignée d’amis…

J’ai trouvé qui avait écrit le petit texte, en réalité plus long.

C’est un chroniqueur talentueux de la revue “La Tribune”, Paul-Henri Moinet.

On livre ci-dessous le texte entier, publié il y a quelques années.

L’art de sauver sa vie

Paul-Henri Moinet
Il faut sauver nos vies. Mais de quoi donc Madame ? De l’insignifiance qui les désoriente, de l’avidité qui les ruine, de la mélancolie qui les ronge, de l’incuriosité qui les rapetisse. “Il y a quelque chose de pire que d’avoir une mauvaise pensée. C’est d’avoir une pensée toute faite. Il y a quelque chose de pire que d’avoir une mauvaise âme. C’est d’avoir une âme toute faite. Il y a quelque chose de pire que d’avoir une âme perverse. C’est d’avoir une âme habituée.”

Les mots de Charles Péguy dans sa Note conjointe sur Monsieur Descartes sont repris avec bonheur par Nathalie Sarthou-Lajus. L’auteur veut nous aider à sauver nos vies. C’est le titre de son dernier ouvrage. Oui oui, vous avez bien lu, il s’agit de sauver nos vies. Pas plus pas moins. Une proposition rare et magnifique qui change de la vulgate du coaching nous submergeant de conseils pour changer ou optimiser nos vies. N’en voulez pas à votre coach s’il ne vous donne pas la méthode pour sauver votre vie. Les coachs, si performants soient-ils, ne sont pas là pour sauver nos vies, ils cherchent seulement à en améliorer les conditions. Ils ont une âme habituée et nous ramènent dans le rang en nous demandant de correspondre aux normes sociales en vigueur. Leur positivisme considère que tout échec est surmontable, que toute défaite prépare la victoire. A force de nous convaincre que rien n’est irrémédiable, que tout dépend de la façon dont nous mobilisons nos propres ressources, ils nous font perdre le sentiment tragique de la vie. Se moquant complètement de savoir si nous serons sauvés, ils ne pensent qu’à nous guérir.

“La notion religieuse de salut ayant perdu son aura, les termes de soin et de protection s’y substituent. Notre péril contemporain n’est plus celui d’une condamnation divine mais davantage l’angoisse devant l’insignifiance de nos vies, l’appréhension d’une mortalité sans rédemption, d’une apocalypse sans révélation, l’expérience d’une solitude nue”, note Nathalie Sarthou-Lajus. Sauver sa vie, c’est quand même un programme plus excitant que toutes ces petites recettes qui vous expliquent comment la gérer, l’aimer, la partager, la réaliser, la réussir. Osez donc changer de cadre de référence, posez- vous la question du salut, vous en sortirez tout revigoré.

La meilleure façon de ne pas subir sa vie, reste de se demander comment la sauver. Mais on finirait par oublier cette évidence, tellement on nous demande chaque jour de sauver la couche d’ozone, les forêts humides, les espèces en voie de disparition, les peuples menacés, les réfugiés du monde entier, les victimes des catastrophes naturelles… il y a tellement de choses à sauver qu’on ne pense même plus à l’essentiel, sauver sa vie. Nul besoin de Dieu pour cela, ni même de la rédemption, de la vie éternelle ou de la résurrection des morts. Vouloir sauver sa vie, c’est d’abord résister à la mélancolie qui nous assigne à résidence dans les limites de notre petit moi quérulent, surmonter la séparation en acceptant la mort, la perte, l’abandon. Voilà pourquoi tout le monde n’est pas égal devant le salut.

Car nous ne sommes pas tous capables de vivre avec le sentiment tragique de la vie. Oui, la vie est tragique, elle nous pousse à la séparation, à la solitude, à la mort. Tragique mais innocente. Refusez sa part innocente et vous êtes aussitôt écrasé, empêché de vivre par sa part tragique que vous prenez à votre compte, dont vous vous accusez même, créant par là votre propre malheur. Mais si vous refusez sa part tragique, votre sort ne sera guère plus enviable ; vous vous enfermerez dans une béatitude tiède, artificielle qui vous fera croire que tout est toujours possible, que votre volonté décide de tout. Une vie feel good comme un spectacle de télé -réalité, cela vous tente vraiment ?

Face au malheur incroyablement décrit par Simone Weil comme une “pulvérisation de l’âme par la brutalité des circonstances”, les uns sombrent, les autres se relèvent. Personne ne peut préjuger de ses ressources devant le malheur. Qu’est-ce qui peut retenir quelqu’un de toucher le fond, de se perdre définitivement suite à un accident banal de la vie ? demande Nathalie Sarthou-Lajus. Ni la foi car elle n’est pas donnée à tous, ni le courage qui n’est pas équitablement réparti. Encore moins l’espérance car elle est une vertu surnaturelle par laquelle le chrétien attend de Dieu la grâce en ce monde et la gloire éternelle dans l’autre.

Alors quoi ? Qu’est -ce qui peut sauver nos vies ? Dieu ? Trop distrait. Nous-mêmes ? Quelle arrogance ! L’amour ? Sans doute. Mais surtout l’acceptation de la duplicité de la vie, tragique et innocente à la fois. A cette condition chacun peut traverser la catastrophe et continuer à marcher.

“Est mystique celui qui ne peut arrêter de marcher et qui, avec la certitude de ce qui lui manque, sait de chaque lieu et de chaque objet que ce n’est pas ça, qu’on ne peut résider ici ni se contenter de cela.” Merci Michel de Certeau et en route mauvaise troupe !

Par Paul-Henri Moinet

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