les deux Fellous

L’intellectualité, ou, dans ce qui va suivre, plutôt la part du roman et du mot, est, à l’évidence, une ligne de partage.

Lorsque l’on parle « d’intellectualité qui partage” , les chevaliers blancs du « correct » vont, immédiatement, se cabrer. S’abritant, pour ne pas oublier le chic du discours, derrière le concept de « common decency » (« le bon sens moral inné du peuple ») fabriqué par Georges Orwell, ils fustigent, pour le nier, l’écart, pourtant réel dans l’appréciation du monde, que l’apprentissage de la théorie, la lecture des fondamentaux, génère.

Qualifiant les « cultivés », les « intellos », de faiseurs, d’esbroufeurs, accordant à l’opinion commune une valeur intrinsèque (« ce n’est pas mon avis », c’est ton opinion sont des expressions récurrentes), ils magnifient la culture populaire, donnée, inextinguible. Loin de l’abscons philosophique ou théorique infécond. Le peuple n’a rien à leur envier, à ces pédants, à ces producteurs de texte trop long, pas suffisamment culinaires ou vacanciers.

A vrai dire, ce qui précède constitue une introduction un peu énervée à mon billet sur « les deux Fellous ».

Ceux qui s’aventurent ici peuvent, éventuellement, connaitre ce que j’ai pu écrire ici sur « les deux Singer » (Isaac Bashevis et Joshua, deux écrivains) ou « les deux Roth » (Joseph et Philip », encore deux écrivains)

Je donne les liens :

LES SINGER : https://michelbeja.com/singer-lautre

LES ROTH : https://michelbeja.com/roth-again

Il s’agit, désormais, de Sonia et Colette Fellous, deux juives tunisiennes.

Sonia Fellous est née en 1956 à Tunis. Docteur en en sciences des religions, c’est une historienne, une anthropologue, « spécialiste de l’identité judéo-chrétienne de l’Europe » et de l’art juif, des manuscrits hébreux illuminés. La relation entre les juifs et les chrétiens, notamment en Espagne, constitue l’un de ses axes de recherche.

Sonia Fellous, femme de qualité donc, est assez connue dans les milieux juifs et de leurs revues (Tribune juive, l’Arche) ou des sites de judaïsme en ligne (Akadem, Centre Elie Wiesel). Sa « redécouverte » de son pays natal, la Tunisie, il y a vingt ans, pas avant dit-elle dans un récent entretien « Akadem », l’a entrainée dans une nouvelle recherche sur cette singulière culture, emplie de soleil et de miel, autant que de judaïsme érudit.

Sa connaissance absolue du « judéo-tunisien » permet à beaucoup, dans cette communauté de ne pas rester dans l’exclamation culinaire (la cuisine tune) ou le passé enjolivé (le rire, réel, du « dhimmi » dans le pays arabe, la prétendue insouciance quotidienne).

Sonia Fellous est donc une intellectuelle qui fait jaillir, sous l’histoire et la culture historique la quotidienneté du juif tune, pour le placer dans ses temps mémoriaux.

On donne sa photo

On donne quelques liens qui permettent de l’entendre.

UN COURS DOCUMENTE

https://akadem.org/sommaire/cours/l-art-juif-de-l-antiquite-a-nos-jours/deux-mille-ans-d-art-et-d-histoire-09-12-2008-7501_4238.php

UNE INTERVENTION RECENTE

https://www.arabnews.fr/node/173631/culture

Colette Fellous, elle, est une pure romancière, une théoricienne du récit, diplômée de l’École Pratique des Hautes Études, de la Faculté des Lettres de Paris, productrice d’émissions sur France Culture (« Carnet nomade » ou « les nuits magnétiques », directrice de collection aux Éditions Le Mercure, « barthienne » (Roland Barthes), durassienne (Marguerite Duras), hugolienne (Camille Claudel). Son mot est poétique, théorique, élaboré, dans la pure intellectualité.

Comédienne, mais avant tout « écrivaine » de nombreux romans et essais, dans une plume élaborée, « durassienne » (Prix Marguerite Duras ») encore, intellectuelle si l’on veut.

Son « sujet » n’est pas exclusivement la Tunisie et sa judéité, même si ses romans sur sa famille et son fameux et délicieux « Avenue de France », sur ma table de chevet, (du nom d’une Avenue de Tunis) pouvait pour certains la placer dans la judéo-tunisianité.

On donne sa photo

On donne quelques liens qui permettent de lire sur elle ou l’entendre.

https://www.etonnants-voyageurs.com/FELLOUS-Colette.html

https://www.lecteurs.com/auteur/colette-fellous/3093241

Les deux Fellous sont donc, au risque de la répétition, des femmes de qualité. Comme les deux Singer, les deux Roth.

Mais Sonia est plus connue des milieux juifs tunisiens dont les membres ne connaissent pas du tout Colette, laquelle voyage ou réside des mois dans l’année en Tunisie.

A l’occasion de la sortie du film au titre facile « du TGM eu TGV » (le TGM est le « Tunis-Goulette- Marsa », petit train qui reliait Tunis aux plages légendaires) dont j’imagine le pire, à tort, dans l’exacerbation de la « tunerie » (gâteaux au miel, cuisine d’épinards brûlés et de thon à tout va, déambulations nonchalantes et rires tonitruants), le sujet est venu dans une conversation d’un soir.

Moi :

– Fellous, auteur du film ? Sonia ou Colette ?

– L’autre :

– Colette ? Connais-pas…

– un intrus

– C’est une intello, Bla-bla, France Culture antisémite

une intruse (intelligente) :

– ça ne nous intéresse pas, nous les tunes. On veut du pays, du rire, de la nostalgie. Ils nous embêtent ces intellos qui cassent l’ambiance.

Je suis rentré chez moi, me suis planté devant mon écran, puis, d’un trait, je l’assure, ai écrit ce billet qui commence par une ode à l’intellectualité, presque du moins.

J’aimerais inviter à diner les deux Fellous. Évidemment qu’elles doivent bien se connaitre et jouer de la dualité. Presque des jumelles en suspens dans le soleil carthaginois. Elles doivent être assez excédées lorsqu’on les ramène au makroud (un succulent gâteau “jiuif tune” dans lequel se combattent semoule, miel de sucre et dattes).

PS. j’entends quelqu’un, au-dessus de mon épaule, qui vient de lire et pouffe de rire.

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