Marcel Cohen, le détail.

Reécriture.

En Mai 2017, j’avais proclamé dans le billet, que, très exactement, j’avait écrit 418 pages ailleurs. Ce qui expliquait l’abandon temporaire de ce site. Non, non, pas un roman. J’avais décidé qu’il s’agissait d’un genre dépassé, désuet. Marcel Cohen, un immense, que je ne connaissais pas, m’en avait convaincu. Mais je le savais déjà. La conviction n’est qu’une redondance, un confortement.

Marcel Cohen, donc.

Il me semble toujours inopportun et prétentieux de conseiller la lecture d’un bouquin. C’est une mise scène de soi, dans les plis lourds de l’orgueil, une démonstration de la fulgurance de ses choix, évidemment confortée par le geste exclamatif et prétendument désolé qui accompagne le “Comment ? tu n’as pas lu ?”

C’est aussi une affirmation de son intellectualité, une manière de construire une hiérarchie dans laquelle le magnifique conseiller s’installe très haut, dominateur, écrasant les frêles épaules de ceux qui ont le front d’avouer (le conseiller jouit de cet aveu) qu’ils n’ont pas lu ce qu’il propose à la lecture.

De fait, il ne conseille jamais la lecture d’un livre dont il imagine qu’il a pu être lu, en subissant l’affront du “j’ai déjà lu, il y a longtemps”. Sont, ainsi, souvent, conseillés des livres illisibles que le conseiller n’a peut-être pas lus. Les pires sont ceux qui, certains de l’emporter finalement, commentent doucereusement à une jolie femme qui a d’autres talents que celui de lectrice assidue (toutes les femmes ne sont pas des lectrices) un livre dont elle ne pouvait imaginer l’existence, pour, ensuite lui prendre la main, intellectuellement s’entend, avant de conclure, souvent sans grand talent, dans le sexe.

La littérature impressionne et séduit lorsqu’elle est commentée avec emphase, encore plus quand elle est marginale. Le séducteur ne sort donc jamais dans le monde sans avoir lu rapidement les notes de lecture des critiques littéraires mécaniques qui hantent les dernières pages de son hebdomadaire favori. Méfiez-vous de ces imposteurs de la littérature qui sévissent toujours à l’heure du dessert !

Mais ce n’est pas toujours vrai.

Je dois dire que, très sincèrement, sans fioritures et uniquement à de vrais amis, j’ai pu conseiller ou, mieux, offrir subrepticement par Amazon, en espérant la lecture, le “Samedi” de Ian Mac Ewan et “La tâche”de Philip Roth.

S’agissant de Marcel Cohen que j’ai donc découvert tardivement, je n’ai pas de scrupules : presque autoritairement, comme un Torquemada, j’enjoins le proche à le lire. En ajoutant – ce qui est vrai- que c’est ce que “j’aurais aimé écrire sans jamais n’y parvenir.” Je sais qu’en le disant, je m’aventure dans des contrées, celles de la littérature, que je m’approprie, conquérant, vantard et faiseur, en osant m’imaginer, aux côtés des écrivains, acteur ou fabricant d’une écriture singulière.

Dire qu’on aurait aimé écrire les lignes qu’on vient de lire participe aussi de cette fatuité, de cette immodestie que j’attribuais plus haut aux conseillers de lecture. C’est dire, en effet, que la chose aurait été possible, en se gratifiant d’un potentiel talent. Il est difficile de sortir de la forfanterie

Mais le cabotinage, dans son expansion illimitée, ne constituait pas l’objet du propos de ce qui vient après des textes dans lesquels, l’un à l’occasion d’un voyage raté au Japon, l’autre dans la contemplation du bleu dans un appartement boursouflé sur le Lac de Garde, j’ai pu esquisser, rapidement, pour ne pas trop ennuyer le lecteur, la grande distinction entre les deux visions du monde. Vision au sens organique, corporelle, quotidienne du terme. Même si elle peut rejoindre la vision entendue comme philosophie ou principe comportemental.

Je disais, en substance que les humains, dans le regard qu’ils portent sur un paysage, une scène, se divisaient entre d’une part les impressionnistes qui ne voient que le tout, en délaissant le détail et ceux qui préféraient s’attacher justement à un élément de la composition de la scène ou du paysage.

Même si je me range, spontanément dans les premiers (les regardeurs du tout, myopes pour les détails), je comprends parfaitement les seconds, ceux qui savent se planter dans le détail, le décrire, le nommer, le commenter. Et, peut-être, suis-je d’ailleurs un peu jaloux de ceux qui dans un parterre coloré qui s’offre, ensoleillé, à la vue de tous, savent détecter une fleur, la nommer, une fleur sans laquelle le tout ne serait pas ce qu’il est. Moi, je ne vois qu’un amas de couleurs, en jouis et ne veut même pas savoir le nom des éléments qui composent ce tout dont les épistémologues savent qu’il est différent de la simple addition des détails qui le structurent.

Longtemps, je me suis vanté de ne pas connaître le nom de fleurs ou des arbres. Longtemps, j’ai glorifié, en appelant à la rescousse les Turner et autres Manet, les visions totalisatrices, sans détails, époustouflantes, exacerbées, confuses et touffues du monde et de son paysage.
Mais, comme toujours, on est rattrapé par l’intelligence, du moins celle qui est patente.
Marcel Cohen est venu, non pas écraser cette apologie du tout que je crois toujours chérir, mais démontrer – ce que je savais déjà sans le dire , de peur d’affaiblir le dithyrambe- que le détail et sa description est tout aussi magique et que, mieux que le tout qui génère un discours malencontreusement emphatique, il révèle le monde d’une manière brute, presque brutale, en phase avec cette objectivité dont la beauté s’apparente à elle d’une équation. Au sens où le clamait Einstein d’une équation, laquelle lorsqu’elle est belle est nécessairement vraie.

Marcel Cohen, lequel, avec une pertinence qui peut effrayer, nous dit que le genre du roman est “périmé”.

UN EXTRAIT DE “DETAILS”

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