Le choux farci du Café Spinoza, à Budapest est le meilleur de la ville. Peut-être en concurrence avec celui du Szegeg, autre lieu vrai de la capitale hongroise.
C’est ce que nous affirmions l’autre soir dans un dîner avec de vrais amis.
Evidemment, l’un des convives à fait malheureusement dévier la discussion sur Spinoza. On devrait éviter de tels noms pour des cafés ou des brasseries. Ils nous éloignent du plaisir immédiat lequel peut ne pas être toujours intellectuel…
Donc, comme il fallait s’y attendre, une question m’a été posée. Sur les affects décrits par le philosophe, sur la la joie et la tristesse qui viennent submerger nos instants de vie. C’est de ma faute. J’aborde souvent le sujet quand j’évoque le maître.
J’ai donc été sommé, de résumer avant le dessert. Spinoza et sa théorie des affects, et le désir, “l’essence de l’homme”. C’est de ma faute. Il faut me taire et faire écouter Dalida.
Le désir, donc. Mes interlocuteurs ont souri, gentiment, en avalant le mot comme un succédané de la jouissance érotique.
J’ai donc du, pour la nième fois, préciser la pensée du maître, étant observé que j’admets parfaitement la confusion ou le quiproquo. On peut ne pas être un lecteur assidu de Spinoza ou entendre le concept dans son acception commune. Laquelle est acceptable. Le désir, au sens courant ou, mieux, bunuelien du terme est… essentiel.
J’ai cependant décidé de résumer ici ce que je répète souvent, comme le Bloom du “Big fish”, film géant et magique de Tim Burton, l’un de mes favoris.
Ainsi, Spinoza, dans son ouvrage majeur considére qu’il existe trois affects de base (“primitifs”) :
– D’abord le DÉSIR, essence de l’homme, puis la joie et la tristesse qui en découlent.
En effet, contre l’intellectualisme qui considère que tout se réduit à des concepts ou des idées, en définissant par ailleurs l’homme comme un être de raison, comme Descartes, Spinoza affirme que le désir est l’essence même de l’homme.
Mais le désir ici ne se résume pas à l’élan sexuel ou à l’envie d’une chose. IL EST L’APPÉTIT.
L’homme tend naturellement à persévérer dans son être, autrement dit à se conserver et à se renouveler sans cesse, et ce grâce à son APPÉTIT lequel se différencie du désir par la conscience de son existence ou de son apparition.
L’APPÉTIT est un effort humain, continuel. Celui, constamment mis en œuvre pour réaliser sa propre nature (“persévérer dans son être“) pour devenir toujours plus ce que l’on est, en cherchant toujours à devenir soi-même :
Spinoza nous dit ici que si cet effort ne s’applique qu’à l’âme, comme c’est le cas dans les activités intellectuelles, l’appétit est appelé « volonté » mais que s’il s’applique à l’âme et au corps, il est simplement nommé « appétit » (citation 3)
Par le désir, puissance du corps et de l’esprit qui permet la conservation et le dépassement de soi, ainsi que l’acquisition d’une connaissance claire de soi-même et de la nature, l’homme atteint ce but de la persévérance dans son être. en existant et le sachant, par sa capacité de percevoir et de connaitre.
C’est une dynamique, une force, une énergie, un élan qui ne peut avoir qu’un but : conserver et accroitre son existence.
De ce désir de persévèrer dans son être, de se conserver, de devenir, découlent deux autres “affects” : la joie et la tristesse
Quand le désir “est en baisse”, il génére une diminution de la puissance d’exister, de penser et d’agir. Ce qui engendre la tristesse ;
Quand le même désir “est en hausse”, il en résulte un accroissement de la puissance d’exister, de penser et d’agir. Ce qui engendre la joie.
Cette opposition entre tristesse et joie est parallèle, concomitante de la différence entre le passif (la tristesse) et l’ actif (la joie).
De ces trois affects primitifs, découlent toutes les PASSIONS : la jalousie, l’humilité ou l’envie sont des formes de la tristesse, alors que l’admiration, la générosité ou la louange sont des formes de la joie.
l’individu est actif lorsqu’il peut s’identifier comme la cause de ce qui se produit et lorsqu’il comprend les choses ;
il est passif lorsqu’il pâtit d’une cause extérieure qui échappe à sa conscience et lorsqu’il ne comprend pas, ce qui accroît sa confusion, les passions l’empêchant d’accéder à la connaissance, et, partant, à l’incompréhension de sa soumission à des causes non comprises. Ce qui exacerbe sa passivité et sa faiblesse, donc sa servitude.
Ainsi, l’homme se croit libre parce qu’il est conscient de ses passions, mais, en réalité, selon Spinoza, il ne l’est pas dans la mesure où il demeure inconscient des causes qui le déterminent. La vraie liberté consiste alors à comprendre l’ordre réel des choses et à saisir notre place dans la causalité de la nature. Cette connaissance permet d’accroitre notre puissance d’exister.
La connaissance de son absence de liberté, en réalité des causes de ce qui advient est le début d’une éthique, un cheminement vers la vraie liberté.
Ainsi, pour conclure sur ce qui nous empêche de boire notre bière, lorsque les amis nous demandent ce qu’on entend par désir, on précise, en passant par la joie, l’actif, la connaissance de la non-liberté, la persévérance dans son propre être, à la LIBERTÉ.
Doit-on dès lors considérer que le désir est liberté ? Non. Relisez.
Ouf… On ne m’y reprendra plus à vouloir résumer, en une page, la troisième partie de l’Ethique…
Mais rien que pour moucher un sartrien de mes amis, présent dans ce dîner, qui ne veut rien comprendre et se prétend l’homme le plus libre du monde, avec son existence qui précéderait l’essence, je suis assez content (joyeux) de cette petite mise au point.
Je dois être dans un moment actif, contre la tristesse. En identifiant parfaitement la cause qui me produit et qui donc produit ce minuscule texte spinozien.
L’affect est un joli mot. Son contenu essentiel. Et les mots jolis (j’accepte d’entendre ce mot, sauf pour les photos) sont vrais. Je me répète ici. C’est Einstein qui affirmait qu’une équation belle est vraie.
PS. La photo en tête du billet : la plage populaire d’Almeria, là où le poisson à la plancha est le meilleur du monde…