Eddy Mitchell, le méchant bougon en verve

Extrait du Point (excellente journaliste, Aurelie Raya)

Johnny, Dutronc, les Stones, l’Amérique, Paris… le rockeur de 81 ans se confie sans filtre. Rencontre à l’occasion de la sortie de son livre « Eddy Mitchell. Ma discothèque idéale ».

Par Aurélie Raya

Publié le 17/12/2023 à 09:05 LE POINT

Une gargote sympathique du 16e arrondissement, à Paris. Eddy Mitchell est là, coiffure (de rockeur) impeccable, regard amusé, parfois goguenard, surtout relax. Tartare frites, vin rouge, et pas du bio ou du naturel – « j’aime pas ça » –, la conversation s’aventure sur la musique, évidemment. Mitchell sort un livre aussi agréable qu’un vieux canapé confortable, il dévoile sa discothèque idéale, les albums qu’il écoute et réécoute, ceux qui ont fait vibrer sa carapace. On se doutait que cet homme, né pendant la guerre, rendrait gloire à ses héros d’adolescence, les caïds des années 1950, mais l’ouvrage est plus subtil qu’une déclaration d’amour au rock’n’roll, à l’image des chansons de Schmoll d’ailleurs. Ode au génie Little Richard, joie de faire revivre les oubliés merveilleux Jackie Wilson et Timi Yuro, « c’est formidable ». L’érudit du vinyle préfère le pianiste en feu Jerry Lee Lewis au tendre Elvis Presley : « Après son service militaire, les albums sont dramatiques, les films sont mauvais, c’est Luis Mariano. Alors que Jerry Lee Lewis reste fou. » Lewis qui avait épousé sa cousine de 13 ans, un scandale en son temps, ce qui fait penser Mitchell à son bassiste américain : « Wayne Moss s’était marié avec sa gonzesse à 14 ans, ils avaient le même âge. Les parents n’avaient pas de pognon, ils se débarrassaient de leurs enfants pour éviter de les entretenir. C’était courant dans le Sud. »

l’autre pays de Claude Moine.

Lui et l’ami Johnny Hallyday ont contribué à mythifier cette contrée, avec eux on voulait rouler en Harley sur la route 66, écouter Ricky Nelson en blue-jean, embrasser Gary Cooper, qui faisait davantage rêver que Fernandel. Eddy Mitchell a baigné dans cette culture, il allait au pays du billet vert pour enregistrer ses disques et collaborer avec des pointures. « Je voulais travailler avec des musiciens du cru parce que les Français doivent tout apprendre, eux naissent dans l’ambiance, c’était précis, un gain de temps, et je n’allais pas demander une bossa-nova à Charlie McCoy ! » Eddy le Frenchy posait sa voix suave dans les mythiques studios Muscle Shoals en Alabama pour concocter un 33-tours, comme les Rolling Stones en leur temps. Ni eux ni les Beatles ne figurent dans sa discothèque parfaite : 

« Les Stones, c’est des biscottes, assène-t-il, sûr de son jugement. Mick Jagger chante pas terrible, ça swingue pas. » On marque un désaccord, avant de le cuisiner à nouveau sur l’Amérique. Mais pour Eddy, c’est fini. Le cœur n’y est plus, au sens propre, des soucis de palpitant l’empêchent de voyager longtemps en avion, comme au figuré : « Je n’aime plus beaucoup ce pays, hormis les grands espaces roots du Colorado, de l’Arizona… Je n’aime pas New York, ni Los Angeles. Et les Américains sont décevants. » Même la ville reine de la country, qu’il célèbre avec tendresse dans sa chanson Nashville ou Belleville « Tout a changé à Nashville, c’est rempli de banques et d’assurances, c’est aseptisé. Cela ne me manque pas. » Et Belleville, c’est guère mieux, selon lui

 Ils font chier avec le vélo ! » Ce titi est resté en France, entre la capitale et sa maison de Saint-Tropez. Mais prononcez le mot Paris et son visage se crispe : « Vous vous garez où dans Paris ? » demande Eddy, non titulaire du permis de conduire. Avant de critiquer la crasse des rues, la maire : « Je crois que c’est Vincent Lindon qui a dit qu’elle était comme l’abbé Faria, à force de creuser des trous, elle va finir par trouver un trésor. » Quand on lui fait remarquer que la voiture ne constitue peut-être pas l’avenir de l’humanité, il sourit et grogne : « Le vélo, sans moi, c’est bien quand vous avez 18 balais, mais ils font chier avec le vélo ! Si vous ne supportez pas la voiture, allez ailleurs. N’allez pas croire que je sois nostalgique, mais vous avez vu la rue de Rivoli ? Tout ferme. Et le sort des bouquinistes… » On lui propose de se balader sur les quais de Seine le week-end. Regard consterné : « Pourquoi ? Je ne suis pas un touriste. » L’homme s’est toutefois ancré dans un « coin peinard » du 16 e, il ne s’imaginait pas en banlieue, à Marnes-la-Coquette, tel Johnny : « Ah non, faut le vouloir, habiter à côté du cadavre de Maurice Chevalier. Et avec un peu de chance, Hugues Aufray débarque avec sa guitare ! » Hallyday, encore et toujours lui. Son grand ami, les deux rockeurs avaient tout vécu ensemble. « C’est une partie de ma vie, il me manque, bien sûr, mais il l’a bien voulu. On a suivi le même chemin, mais lui y allait plus fort. Johnny buvait pour se saouler. Pas moi. Et il faut éviter l’alcool blanc, ça détruit les os, Johnny a été opéré d’une hanche à 40 ans », dit Eddy en dégustant un autre verre de crozes- hermitage. Il se montre plus joyeux à l’évocation de David et Laura, les aînés de son pote : « Je les adore. Je suis le parrain de Laura, on vient de fêter ses 40 ans dans un bel endroit, mais dramatique, le restaurant du musée de l’Homme. Le disc-jockey jouait trop fort, on ne pouvait pas se parler. J’ai demandé à baisser, la fille m’a répondu : vous êtes comme Mick Jagger qui ne supporte pas le bruit. »

Daho, il s’en fiche. Bougon, le sourire rare mais enjôleur, Eddy Mitchell fume toujours, environ dix cigarettes par jour, des Pueblo : « J’ai commencé à 13 ans, je ne vais pas m’arrêter maintenant. » S’il a mis un terme aux tournées en 2010, Mitchell fréquente toujours les plateaux, il interprète un curé loufoque dans un prochain téléfilm avec Laurent Gerra : « J’ai fait enlever “Pas de boogie woogie”, c’était trop évident. » Il vaque, contrairement au copain vieille canaille Jacques Dutronc, reclus en Corse, qu’il appelle souvent : « Lui ne veut rien faire, il doit s’ennuyer, ça va cinq minutes de fumer le cigare et de boire un coup. » Rien ne l’arrache au passé, non qu’il soit mélancolique, mais Mitchell l’avoue : il n’écoute pas de musique actuelle. Benjamin Biolay ? Il grimace. On lui enjoint de se pencher sur son premier album : « Avec les violons ? C’est ridicule. Je n’aime pas ses arrangements de cordes. Et ses chansons ne m’intéressent pas, son “Jardin d’hiver” pour Salvador, c’est “Lucile” de Michel Jonasz. » Daho, il s’en fiche. Juliette Armanet, son duo avec elle ne l’a pas convaincu, des soucis de tonalité, semble-t-il. Et Vianney ? « C’est le nouvel Adamo, il a une tronche de gendre idéal. » Eddy est en train de concocter un album, sans le complice habituel, Pierre Papadiamandis, mort l’an dernier. « C’est gênant mais des gens bien composent pour moi : Souchon, Jonasz, Chamfort, Obispo. » Pascal Obispo ? Tiens un « jeune », mais pourquoi donc : « C’est mon voisin, il traverse la rue, il

Mitchell écrit ses chansons depuis près de soixante ans. Les souvenirs d’enfance, les rêveries, les mots souvent ciselés, les tournures fines, comment ce mauvais élève a-t-il eu confiance au point de prendre un stylo ? « Du temps des Chaussettes noires, je trouvais les textes pas terribles ; alors quitte à chanter des conneries, autant que ce soit moi qui les écrive. » Une anecdote sur le tube « Couleur menthe à l’eau » surgit : « Papadiamandis jouait du piano dans sa cave, je fais venir mon directeur artistique, Jean Fernandez, pour qu’il écoute cette chanson. Il comprend que ça parle d’une pute. Il ne voulait pas sortir le disque, le sujet le gênait, il fallait réécrire, j’ai refusé. » Eddy fut longtemps fidèle à Eddie Barclay, producteur à l’ancienne, un genre introuvable de nos jours, « et ce n’est pas un mal, assure Mitchell. Il nous avait escroqués, mais je l’aimais bien, un escroc avec du panache. » La carrière de M. Eddy fut jalonnée de ventes records, même si un creux s’est fait ressentir, « alors, on partait en tournée en Europe de l’Est. Personne ne voulait s’y produire, on y bouffe mal, on est mal logé. Le succès est revenu avec Rocking in Nashville en 1974 ».

Mitchell, c’est aussi du cinéma. Même si son livre salue l’influence d’immenses artistes, de Bill Haley à Willie Nelson, d’Aretha Franklin à Wilson Pickett, Bécaud et Aznavour, rares Français à trouver grâce à ses yeux, Eddy le concède, le plus important pour lui fut le sombre Gene Vincent. « Il se peignait les rides au crayon noir, un avant-goût du punk. J’ai fait une tournée avec lui vers 1963. Au petit déj’, il avalait du scotch et de la bière avec ses croissants. » Le rockeur est mort à 36 ans d’une occlusion. Il buvait à en crever. Eddy, lui, termine sa tarte au citron et son verre de vin. Mitchell, c’est aussi du cinéma. Les westerns et les « nanars » qu’il adorait faire découvrir dans La Dernière Séance. L’interroger sur sa plus fameuse rencontre lui met la banane : « J’ai passé une soirée formidable avec Robert Mitchum. Il ne disait que des bêtises, moi aussi. Il voulait voir Paris. Je l’ai emmené en taxi, on arrive devant le Centre Pompidou, “une belle distillerie” dit-il. On a fini chez Joe Allen, mais avant il devait repasser à l’hôtel chercher le Shérif, le surnom qu’il donnait à sa femme. » La discussion s’achève sur un réalisateur qu’il apprécie, Sydney Pollack, celui de Tootsie et de Out of Africa. Ces films-là, il s’en fiche. Eddy entend évoquer la collaboration de Pollack avec Burt Lancaster. « Vous avez vu Les Chasseurs de scalps ? » La réponse négative provoque un éclair de mépris dans son regard. Il est temps de filer.

Repères
1942 Naissance à Paris de Claude Moine, dit Eddy Mitchell.

1961 Formation des Chaussettes noires et premier succès.

1966 Photo de Jean-Marie Périer avec les 46 vedettes des années yé-yé, dont Eddy.

1974 Sortie de l’album Rocking in Nashville.

1980 Sortie de la chanson « Couleur menthe à l’eau ».

1982 Première diffusion de La Dernière Séance, son émission de télévision sur le cinéma.

1996 César du meilleur acteur dans un second rôle pour Le bonheur est dans le pré, d’Étienne Chatiliez.

2017 Tournée des Vieilles Canailles avec Jacques Dutronc et Johnny Hallyday.

« Eddy Mitchell. Ma discothèque idéale », entretiens avec Marc Maret et Alain Artaud (éd. Hors Collection) et « L’Album de sa vie » (compilation Eddy Mitchell, Universal Music).

le vouloir, habiter à côté du cadavre de Maurice Chevalier. Et avec un peu de chance, Hugues Aufray débarque avec sa guitare ! » Hallyday, encore et toujours lui. Son grand ami, les deux rockeurs avaient tout vécu ensemble. « C’est une partie de ma vie, il me manque, bien sûr, mais il l’a bien voulu. On a suivi le même chemin, mais lui y allait plus fort. Johnny buvait pour se saouler. Pas moi. Et il faut éviter l’alcool blanc, ça détruit les os, Johnny a été opéré d’une hanche à 40 ans », dit Eddy en dégustant un autre verre de crozes- hermitage. Il se montre plus joyeux à l’évocation de David et Laura, les aînés de son pote : « Je les adore. Je suis le parrain de Laura, on vient de fêter ses 40 ans dans un bel endroit, mais dramatique, le restaurant du musée de l’Homme. Le disc-jockey jouait trop fort, on ne pouvait pas se parler. J’ai demandé à baisser, la fille m’a répondu : vous êtes comme Mick Jagger qui ne supporte pas le bruit. »

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