Le précédent billet, sur la morale et son caractère inné, m’a fait revenir sur les neurones miroirs.
Vittorio Gallese (Université de Parme) est un neuropsychologue qui a participé à la découverte des neurones miroir, prétend qu’ils permettent l’empathie et, partant la vie sociale.
Vous avez participé à la découverte des « neurones miroir ». Qu’est-ce que c’est?
Ce sont, dit-il, “des neurones moteur, contrôlant l’exécution non de mouvements mais d’actes finalisés, c’est-à-dire tendus vers un but – comme prendre, rompre, tenir, mordre, mastiquer, sucer. En dehors de leur rôle moteur, ils ont aussi une propriété sensorielle. Admettons qu’un macaque regarde l’un de ses congénères en train d’accomplir un acte finalisé : le neurone qui commande l’acte s’active à la fois dans le cerveau du singe qui agit et dans celui du singe qui observe. Ces neurones peuvent aussi s’activer quand une action n’est pas visible – parce qu’elle est cachée par un rideau – et qu’elle peut seulement être imaginée. Ensuite, d’autres expériences ont montré que l’audition est également concernée : certains de ces neurones s’activent quand un macaque entend le bruit de casser des noix. Le système moteur ne sert donc pas seulement à déplacer le corps mais aussi à configurer l’espace social“
C’est donc sans doute un mécanisme très ancien et essentiel pour l’adaptation d’une espèce à son environnement, parce qu’il permet de moduler son action sur celle des autres, dans une sphère d’interactions complexes entre individus. Cette découverte est importante, car elle nous a permis de découvrir les bases concrètes de l’intersubjectivité. Edmund Husserl ou Maurice Merleau-Ponty avaient déjà compris son importance. Le monde humain, ont-ils soutenu, n’est pas simplement le monde physique, il est configuré par les interactions entre les sujets. « Je ne vis pas seulement au milieu de la terre, de l’air et de l’eau, écrit Merleau-Ponty dans la Phénoménologie de la perception (1945), j’ai autour de moi des routes, […] des rues, des églises, des ustensiles […]. Chacun de ces objets porte en creux la marque de l’action humaine à laquelle il sert. Chacun émet une atmosphère d’humanité. »
Il ajoute que l’empathie se construit sur ces bases “miroir”.Dans mon précédent billet, je posais la question du lien entre le neuronal et la morale, préférant éviter le débat sur le “tout-génique”Gallese nous dit à ce sujet que :”Les neuroscientifiques confondent trop souvent le réductionnisme méthodologique et le réductionnisme ontologique. Le réductionnisme méthodologique est indispensable. Nous neuroscientifiques partons d’une question très vaste : qui sommes-nous ? que nous découpons en sous-questions pour construire des protocoles expérimentaux. Mais le réductionnisme ontologique, qui consiste à rabattre la conscience ou l’être humain sur ses neurones, est débile. Il n’y a pas plus de sens à dire « Je suis mon cerveau ! » que « Je suis mon pénis ! »Puis, sur l’empathie que :
Supposons que vous voyez l’un de vos amis planter un clou, qu’il se donne un coup de marteau sur le pouce et crie : « Aïe ! » Comment faites-vous pour comprendre qu’il éprouve de la douleur ? Traditionnellement, avant la découverte des neurones miroir, la réponse des psychologues cognitivistes était qu’il s’agissait d’un mécanisme d’inférence. Selon eux, vous construisez un raisonnement du type : « Je me suis déjà tapé avec un marteau sur le pouce et je peux comprendre qu’il a mal. » Pour les cognitivistes, comme pour les philosophes analytiques, l’autre est un problème, il est opaque, dans sa psychologie comme dans ses intentions, et je ne peux le comprendre que dans la mesure où je fais dériver son comportement d’une attitude propositionnelle qui l’a déterminé, c’est-à-dire d’une croyance, d’un désir ou d’une intention. Comment puis-je arriver à la croyance, au désir, à l’intention qui motive l’action d’autrui ? En construisant une représentation de celle-ci. Pour la psychologie traditionnelle, l’intersubjectivité est donc une abstraction, un savoir au second degré. Mes collègues et moi disons : c’est vrai, nous sommes capables de faire ce genre d’inférences et nous les faisons souvent, mais il existe un niveau plus direct de relation avec l’autre, un niveau empathique. Les neurones miroir pour la douleur permettent d’expliquer pourquoi, en regardant l’autre se taper le pouce, quelque chose s’active en moi qui me fait sentir la douleur. C’est physiologique, ce n’est pas l’enjeu d’un raisonnement ni d’une représentation. Et ce lien avec autrui est fondamental.
Certains de mes collègues pensent que, grâce aux neurones miroir, nous sommes empathiques et donc naturellement bons. Je crois que ce n’est pas vrai. Le sadique prend plaisir à la douleur qu’il provoque. Comment sait-il que sa victime éprouve de la douleur ? Par l’empathie. La seule dimension éthique de l’empathie, c’est, à mon sens, Edith Stein qui l’a vue : l’empathie permet de conjuguer deux dimensions essentielles de la relation avec l’autre, la ressemblance et l’altérité, sans en passer par le concept d’identité. L’identité est une construction, une fiction dangereuse : aujourd’hui, on le voit plus que jamais avec la politique des petits patriotes, Donald Trump, Boris Johnson, Marine Le Pen chez vous, Matteo Salvini chez nous ! Selon moi, l’intersubjectivité saine, composante centrale de la santé mentale, réside dans la capacité à tenir ensemble les deux pôles de l’altérité et de la ressemblance. Si je nie l’altérité de l’autre, je deviens symbiotique. Si je nie notre ressemblance, je deviens psychotique, ou, et ce n’est pas forcément mieux, je deviens Salvini. Ainsi l’empathie ne nous dirige pas nécessairement vers le bien, mais c’est la base de la vie en société.“Tout est dit.Du moins presque. Puisque rien n’est dit.Relisez. Rien de convaincant.Sauf qu’il existe des neurones miroirs.Les philosophes devraient se mettre à la science pour éviter la circonvolution verbale et creuse…Les scientifiques devraient éviter de faire de la philosophie et de la politique à quatre sous…