Le titre n’est aucunement une référence à une nomination au Prix Goncourt ou au Nobel de littérature (accordé cette année, dans la mouvance idéologique dominante, celle des campus américains, à une boycotteuse d’Israël).
La nomination dont il s’agit est celle en relation avec le prénom donné à un enfant juif. On sait que pour l’enfant mâle, les parents attendent le jour de la « britmila », la circoncision (« Le huitième jour, la chair du prépuce sera circoncise » (Lévitique 12,2) pour « nommer » le fils, révéler son prénom, judicieusement caché pendant cette semaine.
Si l’on cherche une injonction biblique ou juste rabbinique à cette tradition, , on ne la trouvera pas. Il ne s’agit que d’une coutume qui a pris, comme on dit « force de loi ».
Quant aux filles, elles ne seront « nommées », elles, à la synagogue, que le jour de la lecture de la Torah le plus proche de la naissance (cette lecture se fait le Lundi, le Jeudi, le Samedi).
Un grand-père, pour la deuxième fois, aujourd’hui, 25 octobre 2022, ne connait donc pas le nom de sa petite-fille. Ce qui sidère ceux, non juifs, qu’il peut côtoyer et à qui il a annoncé cette naissance.
En envoyant la photographie de la nouvelle-née à ses proches, sans prénom, il s’est éloigné des explications rabbiniques (il n’en existe aucune fiable ou même majoritaire) et s’est souvenu du fameux « What’s in a name ? » (Qu’y a-t-il dans un nom ?) de Shakespeare (Roméo et Juliette), que les philosophes, les linguistes, les anthropologues et les psychanalystes ont trituré allègrement.
JULIETTE. – Ton nom seul est mon ennemi. Tu n’es pas un Montague, tu es toi-même. Qu’est-ce qu’un Montague ? Ce n’est ni une main, ni un pied, ni un bras, ni un visage, ni rien qui fasse partie d’un homme… Oh ! sois quelque autre nom ! Qu’y a-t-il dans un nom ? What’s in name ? Ce que nous appelons une rose embaumerait autant sous un autre nom.
Notre nom propre ne serait donc pas inséparable de nous-mêmes ? Ne serait-il pas notre essence ? On parle ici du prénom.
A l’inverse de Shakespeare et son « relativisme » du nom, les juifs ne peuvent imaginer une interchangeabilité du prénom (et du nom). C’est l’inscription gravée dans les tables éternelles. (Voir cependant note de pas de page 1)
Le grand -père a ainsi proposé donc l’hypothèse qu’il n’est pas encore né lorsqu’il vient au monde, cet enfant. Les rabbins peuvent approuver : l’enfant ne nait, qu’avec la circoncision (l’alliance). Mais ce n’est pas le cas pour la petite fille. Alors ?
On se dit qu’en réalité, “le Maitre de l’Univers” aurait simplement rappelé, par ce prénom en suspens, que l’enfant ne nait pas d’un humain (une femme dans le concret). Il n’existe pas avant d’avoir été devant la Torah, que seule la Torah devant laquelle on le/la nomme l’enfante. Que tout, y compris nos enfants, viennent donc du verbe…
Le grand-père n’a cependant pas osé écrire, en envoyant la photo : « En pièce jointe à Whatsapp, une très belle petite fille à naitre dans quelques jours. Il n’a pas écrit non plus “What’s in name”, pour donner à lire Shakespeare. Il a usé d’une supercherie, pour amener ses lecteurs là où il voulait qu’ils viennent. Il a écrit simplement “What’s the name of this girl ? En laissant ainsi accroire qu’il s’agissait d’une devinette.
Et quasiment tous, pour jouer, ont demandé la première lettre du prénom mystèrieux. De fait, par cette question, ils sont entrés dans la logique d’une création numérique au sens de la combinaison chiffrée des lettres, signes de signes (guematria pour le dire). Lettres créatrices du réel, dans la tradition cabalistique. Le tour était joué, le verbe engendrait la réalité. Même si le grand-père ne confondait pas sa petite-fille avec le scrabble, c’était une sacrée feinte que ce détour par la première lettre.
Le jour de la naissance d’un enfant permet ce type de billet absurde, qu’on effacera certainement plus tard en le remplaçant par « elle est née ! ». On aurait raison. Mais il fallait bien “annoncer”. Et rappeler que rien n’est plus immuable ou éternel, que les prénoms qui jouent à la marelle dans tous les cieux, se cognant les uns contre les autres.
De quoi es -tu le prénom ? C’aurait pu être un autre titre, un autre billet.
Note 1- Les juifs orthodoxes sont tellement persuadés de l’inscription d’un prénom dans les tables supérieures pré -écrites, qui contiennent les jours de la mort des humains, qu’ils tentent de tricher en changeant le prénom d’un agonisant. Considerant que le prénom nouveau, non inscrit, échappera ainsi a son destin de mort. Nul ne peut le croire. Mais c’est exact, j’ai eu à le constater pour un très proche dont le prénoma ete changé avant sa mort. En vain, bien sûr. Une tricherie en déjouant un acte divin, celui des destinées. On se croirait dans un souk des prénoms. Cette pratique est honteuse. Ce faisant, contre eux-mêmes, contre la croyance, ces orthodoxes dévalorisent le prénom devenu interchangeable sur un lit de mort… En allant a l’encontre du sacré de la nomination. Une balle idiote dans un pied irréfléchi. Heureusement que beaucoup de juifs pensent. Mais la force des obtus, un peu primaires, est incommensurable. Un changement de prénom dans les heures qui précédent la mort ! Et pourquoi pas un bakchich aux anges qui ouvrent le ciel ?