La femme invisible

“L’homme invisible” est un film qui a marqué notre jeunesse. Je reçois la newsletter de la Vie des idées. Je lis”invisible”. Oeil accroché.

Mais non, c’est une essai sur l’invisibilité des femmes.

Ce type d’article devrait être censuré par un groupe de femmes qui veilleraient a abolir le ridicule qui dessert un discours.

Lisez. C’est fou. De quoi même s’énerver. L’on ne sait où l’on va…

Je ne colle pas tout. C’est fou…

Le prix de l’invisible

Les femmes dans la pandémie

Pourquoi les femmes, omniprésentes dans la lutte contre la pandémie et ses effets, n’obtiennent pas la visibilité qu’elles méritent ? La crise que nous vivons est révélatrice de nos dénis et de notre mépris des activités ordinaires.

La crise sanitaire du Covid-19, si dramatique soit-elle, ressemble aussi àune répétition des catastrophes à venir, sanitaires et écologiques.
Dans cette crise, les femmes sont curieusement omniprésentes… et
absentes. Présentes sur tous les fronts, car on ne cesse de nous les
montrer dans les médias : à la machine à coudre, fabricant bénévolement
des masques « alternatifs » ; au balai, faisant le ménage dans les hôpitaux et magasins encore ouverts ;
au chevet des patients, à la caisse des commerces qui permettent de
poursuivre une vie vivable. Une vague mauvaise conscience collectivesefait jour ; les clients saluent et
remercient les caissières à qui il y a quelques semaines ils
n’accordaient pas un regard, réglant mécaniquement leurs achats tout ens’adressant via leur téléphone portable à une personne à distance,
clairement bien plus importante. Les politiques vantent le travail des
soignants, médecins et infirmières, à qui depuis des années ils refusent
avec mépris la moindre augmentation de moyens, plaçant l’hôpital publicdans une situation de dénuement telle que dans les premières semainesde la crise, ses personnels n’avaient aucun moyen de protection contrel’épidémie.

La pandémie joue comme un dispositif devisibilité pour des pratiques habituellement discrètes, et favorise laprise de conscience de l’importance du care, du travail de femmes et autres « petites mains » dans la vie quotidienne, souvent revenue entre les murs de la vie domestique. C’est bien ce qu’on appelle le travail du care qui assure la continuité de la vie sociale. On redécouvre Joan Tronto pour la version politique du care qu’elle a proposée pour mettre l’accent sur l’activité de care, et ne pas le limiter aux affects ; mais il ne faut pas négliger la définition qu’elle propose :

Au sens le plus général, care désigne
une espèce d’activité qui comprend tout ce que nous faisons pour
maintenir en état, pour préserver et pour réparer notre monde en sorte
que nous puissions y vivre aussi bien que possible. Ce monde comprend
nos corps, ce que nous sommes chacun en tant que personne, notre
environnement, tout ce que nous cherchons à tisser ensemble en un filet
serré et complexe dont la destination est de maintenir la vie

.

« Il faut défendre la société »certes. Mais celles et ceux qui la défendent, ce sont des invisiblesque jusqu’à récemment on tenait pour la face immergée de la société, les« taken for granted »
qui rendent nos vies possibles. Réduits (en totalité ou en partie) à
notre vie domestique, une grande part des citoyens réalisent qu’ils et
elles nous ont constamment beso………..

Etc, etc.

Memmi

Paris, 8 décembre 1982

Il lui a manqué quelques mois pour devenir centenaire. Comme, curieusement Jean Daniel, l’autre séfarade.

Albert Memmi est donc décédé le 22 Mai.

Il nous a accompagné dans nos premières découvertes de l’architecture d’une culture, dans sa place entre France et arabité, dans sa spécificité dans le judaisme.

Même si son esprit sartrien ne pouvait toujlurs me convenir, on ne lui en tenait pas rigueur. Il était, lui, sincère dans la flamme.

Son premier bouquin (“La statue de sel”) qui décrivait, pas toujours avec condescendance, les juifs de Tunisie, nous avait d’abord choqués, nous les proches de la “Nation” française, les intégrés, presque descendants des gaulois. Et ses “portraits du colonisé et du colonisateur” heurtaint quelquefois notre reconnaissance envers la “mère-patrie”.

Puis son humanisme (que tous s’évertuent à qualifier de sartrien) alors qu’il est culturel nous avait fait oublier ces petites crispations post-adolescentes…

Homme intègre, homme sincère. Paix.

On colle l’hommage du Monde, pour mémoire, comme d’habitude. Puis, celui de Claude Nataf, Président de la Société d’histoire des juifs de Tunisie qui a rendu hommage à mon père, devant son corps, en 1999.

LE MONDE

Albert Memmi, écrivain et essayiste, est mort

Français d’origine tunisienne, il a écrit des livres majeurs sur la décolonisation et le racisme, dont « Portrait du colonisé ». Il est mort le 22 mai, à l’âge de 99 ans.

Par Catherine Simon Publié hier à 16h22, mis à jour hier à 16h28

Albert Memmi, le 6 février 2005.
Albert Memmi, le 6 février 2005. BOYAN TOPALOFF / AFP

Auteur de livres majeurs sur la décolonisation et le racisme, le romancier et essayiste Albert Memmi, d’origine tunisienne, est mort le 22 mai, à Paris, à l’âge de 99 ans.

C’est dans la pauvreté du ghetto juif de Tunis, la Hara, qu’est né le 15 décembre 1920 Albert Memmi, l’employé de mairie ayant refusé le prénom hébraïque proposé par le père du nouveau-né. Ainsi vont les rapports de domination dans le système colonial, comme l’analysera plus tard, de manière magistrale, l’auteur de Portrait du colonisé (précédé de Portrait du colonisateur, Corrêa, 1957)…Lire notre article de 2004 : Albert Memmi, marabout sans tribu

Fils de Fraji Memmi, bourrelier, et de Maïra Serfati – une Berbère analphabète, dont il gardera la photo près de lui, encadrée dans le coin bureau de son appartement parisien de la rue Saint-Merri –, le jeune Albert grandit au milieu de ses douze frères et sœurs. Il fréquente l’école rabbinique dès l’âge de 4 ans, apprenant à déchiffrer l’hébreu dans les textes traditionnels. Lui qui a grandi dans la langue arabe (le dialecte tunisien est sa langue maternelle), en apprend très vite une troisième : le français, qu’il découvre en entrant, en 1927, à l’école de l’Alliance israélite universelle, fondée, comme il le note lui-même, « par des philanthropes européens, pour aider les enfants orientaux et propager la langue et la culture françaises ».

Excellent élève, il a la chance « inespérée », souligne-t-il, d’obtenir une bourse du gouvernement tunisien et de la communauté juive, ce qui lui permet d’entrer au lycée Carnot, établissement réputé du Tunis colonial. Plusieurs de ses professeurs apparaissent, sous des noms inventés, à l’instar de l’écrivain Jean Amrouche (alias Marrou) ou d’Aimé Patri (alias Poinsot), dans son premier roman, La Statue de sel (Corrêa, 1953, plusieurs fois réédité, notamment par Gallimard). Autofiction avant la lettre, ce récit offre une description sans fard, pleine de saveur et d’amertume, du ghetto juif de son enfance et d’une Tunisie cosmopolite aujourd’hui disparue.

« Coup de tonnerre »

La Statue de sel fait l’effet d’un « coup de tonnerre » dans la communauté juive, confiera au Monde une amie d’Albert Memmi, l’universitaire Annie Goldman : « Les gens étaient à la fois fiers et choqués. C’était la première fois que quelqu’un de Tunis, juif en plus, était publié à Paris. Mais c’était aussi la première fois qu’on décrivait la pauvreté » du petit peuple tunisois. Le livre, qui assure à l’auteur un début de notoriété, fait partie des classiques de la littérature maghrébine francophone du XXsiècle. Il sera mis au programme de l’Institut supérieur des langues de Tunis, au milieu des années 1990, provoquant de nouveau la surprise – de la part, cette fois-ci, des étudiants tunisiens.Dans nos archives (1977) : Albert Memmi, conteur arabe

La communauté juive, qui comptait encore quelque 150 000 membres durant la jeunesse d’Albert Memmi, en rassemble moins de 1 000 à l’orée des années 2000. Qu’une Tunisie de la « diversité », comme on dit aujourd’hui, ait pu exister, est source d’étonnement pour beaucoup de ces jeunes, nés bien après l’indépendance (1956).

« La nouvelle nation [la Tunisie] sera légitimement mais inévitablement arabe et musulmane », comprend-il très vite. Il prévoit qu’il n’y aura pas sa place.

Un deuxième roman réaliste et en partie autobiographique, Agar (Corrêa, 1955), fait aussi événement. Il raconte le naufrage d’un couple mixte et met en scène certains des thèmes (la dépendance, la domination, etc.) que l’auteur déclinera et analysera dans la plupart de ses nombreux écrits – récits, romans, essais ou articles de presse. Contrairement au destin du couple romancé de Agar, celui que forment Albert Memmi et son épouse, Germaine, une jeune Lorraine, durera jusqu’à la mort de cette dernière, après quelque soixante ans de vie commune et en dépit d’inévitables « secousses », selon ses mots à lui.

L’existence du couple se partage entre Tunis et Paris, où il se fixe définitivement à l’automne 1956. La Tunisie, nouvellement indépendante, célèbre son leader, Habib Bourguiba. Cette « période historique exceptionnelle », ainsi que la qualifie Albert Memmi, est retracée dans Le Pharaon (Julliard, 1988), roman pour lequel l’auteur a largement puisé dans son journal « intime » de l’époque. « La nouvelle nation sera légitimement mais inévitablement arabe et musulmane », comprend-il très vite. Il prévoit qu’il n’y aura pas sa place.

« Nomade immobile »

Son vrai pays, ce sont les Lettres : grand lecteur, passionné de philosophie, il devient « nomade immobile » (titre d’un de ses livres) et, entre deux cours ou séminaires, passe son temps à écrire. Il a participé, à Tunis, au lancement d’Afrique-Action, ancêtre de l’hebdomadaire Jeune Afrique. Il s’exercera, dans les colonnes du Monde, puis du Figaro, à l’art du billet.

Mais ce sont ses livres, en particulier, le Portrait du colonisé, publié en pleine guerre d’Algérie, qui lui valent célébrité… et violentes attaques. Ecrit en deux parties, cet ouvrage met en évidence les mécanismes de l’oppression coloniale et décrit « l’étrange duo » que forment le colonisé et le colonisateur. C’est en philosophe, en sociologue et en psychologue qu’il le fait – mettant ainsi en lumière la « vraie nature de la décolonisation, qui n’est pas seulement d’ordre économique ». Ce maître-livre, d’une actualité étonnante, lui vaut l’admiration de Jean-Paul Sartre, qui en rédige la préface, et les réserves de Raymond Aron et d’Albert Camus, qui a préfacé La Statue de sel.

Laïc convaincu, self-made man acharné, amoureux de la vie et de ses plaisirs, l’érudit de la rue Saint-Merri, a d’abord été, confiait-il peu après la sortie de La Statue de sel, « une sorte de métis de la colonisation, qui comprenait tout le monde, parce qu’il n’était totalement de personne ». Son œuvre a été traduite en plus de vingt langues, et plusieurs dizaines d’ouvrages et de thèses lui ont été consacrés.

Dates

15 décembre 1920 Naissance à Tunis

1953 « La Statue de sel »

1955 Participe à la création du journal « Afrique-Action »

1957 « Le Portrait du colonisé »

1988 « Le Pharaon »

22 mai 2020 Mort à Paris

CLAUDE NATAF

Message du Président de la SHJT

Je viens d’être informé du décès d’Albert Memmi survenu dans la nuit du jeudi au vendredi 22 mai. Une belle plume s’est arrêtée d’écrire, une voix s’est tue, un Maître a cessé d’enseigner, une conscience sévère et attentive ne nous éclairera plus.

L’émotion qui m’étreint au moment où je dois saluer sa mémoire au nom de la Société d’Histoire des Juifs de Tunisie me fait douter de ma capacité à écrire tout ce qui affleure à ma pensée.

Dans les premières années qui ont suivi l’indépendance de la Tunisie, alors que j’achevais mes études secondaires, nous étions un petit groupe d’amis rêvant de gloire littéraire et nous reposant de Tacite et de Xénophon, en traduisant en vers de potaches nos premiers émois. Alain-Gérard Slama notre aîné de deux ans, couronné par le prix de version latine au concours général des lycées et collèges, nous appelait à le suivre sur le chemin de la rue d’Ulm, mais Albert Memmi nous montrait que l’on pouvait être juif, né à Tunis et devenir un écrivain français. La Statue de Sel et surtout Agar ne nous quittaient pas. André Malraux dépoussiérait l’Odéon où Barrault représentait Tête d’Or ; Sartre publiait Les séquestrés d’Altona et Camus, glorieux prix Nobel avait le courage de déclarer que sa mère passait avant la Justice. Mais faisant fi de cette agitation, nous rêvions aux propos d’un camarade de retour de Paris qui avait aperçu Albert Memmi à Saint-Germain des Prés. Nous l’imaginions au Flore déjeunant avec Sartre, prenant un thé au Deux Magots avec Simone de Beauvoir, buvant un punch à la Rhumerie Martiniquaise avec Albert Camus avant d’aller baiser les doigts de quelques duchesses qui avaient les traits d’Oriane de Guermantes. Nous rêvions tous d’être Albert Memmi et nous nous imaginions qu’il était nous. Je me souviens d’avoir écrit un soir de doute en pleine préparation de concours et parodiant Victor Hugo « Je veux être Albert Memmi ou rien ».

Lorsque bien plus tard à Paris débarrassé de mes chimères, je rencontrai Albert Memmi et qu’il me fit l’honneur de me recevoir, de m’écouter, de dialoguer avec moi, de me conseiller, mon admiration ne fut en rien entamée et, plus raisonné plus réfléchie elle ne cessa de monter en puissance.

Profondément enraciné dans notre Tunisie natale, issu d’une famille nourrie par la tradition juive, élève de l’école française, mariée ensuite à une chrétienne, enseignant et vivant en France, lu et traduit dans tous les continents, Albert Memmi se confond avec cette pluralité culturelle qui est la marque de la Tunisie. Cette variété d’expériences et parfois de tribulations avaient aiguisé son regard à la fois inquiet et nuancé et son engagement constant contre la peur et le rejet de l’autre.

Lui qui avait été préfacé à la fois par Sartre et par Camus était dans ce XXI siècle l’un des derniers tenant de la République des Lettres, comme le prouve l’éclectisme de ses admirations littéraires et de ses relations.

Je voudrais surtout souligner ici sa fidélité à l’histoire de la communauté juive de Tunisie au sein de laquelle il était né et qui est présente dans presque toutes ses œuvres.

Lors de la  visite que le regretté Jacques Taieb et moi-même lui rendîmes en 1997, pour lui faire part de notre projet de créer la Société d’histoire des Juifs de Tunisie en vue de favoriser l’éclosion de travaux scientifiques et d’échanges universitaires, il ne se contenta pas de nous encourager mais nous apporta un concours constant et bienveillant en mettant sa notoriété au service de notre toute nouvelle association. Il n’a jamais manqué depuis de souligner la qualité de notre action, la continuité exemplaire de nos travaux et ne manquait pas de rappeler qu’il était membre d’honneur de notre association et qu’il était intervenu en 1999 et en 2003 lors des colloques internationaux que nous avions tenus en Sorbonne. A deux reprises en mars 2000 et en novembre 2003 nous avions organisé des journées d’études autour de son œuvre, dans une perspective plus historique que littéraire avec la participation d’universitaires tunisiens et israéliens.

Mardi dernier, deux jours avant son décès il participait assistait grâce à internet et à l’application zoom à la conférence donnée sous l’égide de notre société par Jean-Marcel Nataf sur les chefs d’œuvre des rabbins tunisiens. J’avais été heureusement surpris de sa présence, de ses traits apaisés et de constater que son sourire si perçant et si expressif de sa personnalité apparaissait de temps à autre sur l’écran tandis qu’il écoutait attentivement un exposé dont le thème ne portait pas un de ses sujets de prédilection.

Dans les jours et semaines qui suivront les hommages se multiplieront sans doute et exprimeront mieux que je ne le fais ici la grandeur de l’œuvre d’Albert Memmi.

Aujourd’hui je pense à l’Homme, à tout ce qu’il a représenté pour beaucoup dont je suis et j’essaye de retrouver les termes de nos multiples échanges.

Son œuvre marquée à la fois par son identité juive, par sa Tunisie natale si chère à son cœur, par la culture française, celle de la France des Droits de l’Homme, de la France de Michelet et de Zola. Elle demeurera pour les historiens la référence de ce qui fut pendant des siècles et des siècles la présence juive en Tunisie.

Les grands travaux de l’esprit ont un précieux privilège. Ils vivent et se prolongent au-delà de leurs auteurs. L’œuvre d’Albert Memmi en fait partie. En ce sens Albert Memmi continuera de vivre.

                                                           Claude Nataf

                               Président de la Société d’Histoire des Juifs de Tunisie 

                                                           25 mai 2020

w.a

Woody Allen :  «  Quand je mourrai, je serai très heureux d’être oublié. »

Dieu que j’aime ses films. Tous. Quand je sors d’une salle après une projection d’un film de Woody Allen, je suis transporté des heures entières et veux errer dans les villes et les bars. Quand je les vois ces films dans un écran domestique, une tablette à vrai dire, je prends un cognac et savoure la déliciosité des heures qui passent sur un fauteuil, transporté encore. Woody Allen est le génie des moments.

Il y a une autobiographie qui sort et Le Figaro nous livre un entretien dans la livraison de ce jour. Lisez. Dieu que Woody est un immense fictif. Dieu qu’il a raison de préférer le fictif au réel. A part qu’il se trompe un peu, j’aurais aimé le lui dire face to face : le réel est fictif. Lisez l’intelligence, même si (chut…!), je ne le trouve pas en forme dans ses réponses et qu’on imagine qu’il aurait pu dire mieux. Ca doit être l’interviewer. Mais c’est Woody.

Mon cadeau du jour. Donc un “collé” du Figaro de ce jour. Fastoche.

LE FIGARO 18 mai 2020

Woody Allen : « je préfère la vie fictive des films à la vie réelle »

Son autobiographie sortira en France Le 3 juin, chez stock. à cette occasion, le cinéaste américain s’exprime avec humour et un brin de désinvolture. Eric Neuhoff

Woody Allen : « Quand je mourrai, je serai très heureux d’être oublié. »Audoin Desforges / Pasco

Voilà des Mémoires qui auront connu des remous. Après avoir accepté de publier l’autobiographie de Woody Allen aux États-Unis, Grand Central Publishing (filiale d’Hachette) avait tout annulé. En cause ? Les accusations de la fille adoptive du réalisateur américain, Dylan Farrow, qui affirme avoir été abusée sexuellement par son père en 1992. Si le cinéaste de 84 ans a toujours réfuté ces accusations et n’a fait l’objet ni de mise en examen ni de jugement, sa réputation a été sérieusement ternie aux États-Unis par cette affaire. Au point que les protestations d’employés de Grand Central Publishing et de Ronan Farrow, le fils de Woody Allen, avaient suffi à empêcher la sortie de son livre. Finalement publié aux États-Unis le 23 mars (chez Arcade Publishing), Soit dit en passant paraîtra en français le 3 juin, chez Stock. En attendant, Woody Allen vous dit tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur lui sans jamais oser le demander…

LE FIGARO. – Avez-vous été surpris quand votre premier éditeur américain a annulé la sortie du livre ?

Woody ALLEN. – Vous savez, je travaille dans l’industrie du cinéma et très souvent les films sont annulés à la dernière minute. J’y ai été habitué toute ma vie. Pour moi, c’est presque de la routine.

À vous lire, il est évident que vous avez écrit le livre vous-même. Pourquoi n’avez-vous pas pris un « nègre », comme tout le monde ?

Oh non, j’aime écrire. Depuis des années, les gens me demandaient d’écrire mes Mémoires, de raconter mes expériences dans le cinéma et à la télévision, de parler du jazz.

Lisez-vous les souvenirs de réalisateurs ?

Non. Je ne suis pas un grand lecteur. Alors, quand je lis, ce sont des choses sérieuses, qui ont du sens. Les livres sur le show-business sont en général superficiels.

Cela vous a-t-il pris longtemps ?

Pas très. C’était assez facile. Environ un an. J’écrivais un peu, puis je passais à autre chose et j’y revenais. Je faisais ça de façon décontractée, comme un hobby.

Avez-vous trouvé cela plus difficile qu’écrire un scénario ?

Non, beaucoup plus facile. Là, je connaissais les détails. J’avais le début, la fin, j’avais toutes les informations, toutes les anecdotes.

Au milieu de cette tourmente, vous avez l’air d’être resté si calme… Comment avez-vous fait ?

C’est dans ma nature. Ma vie me plaît. Je suis quelqu’un de détendu. C’est comme ça.

La première phrase contient une référence à J. D. Salinger…

Bien sûr. L’Attrape-cœurs est un des livres les plus réjouissants à lire. Je l’ai lu dans mon adolescence. Ce n’est pas quelque chose que vous lisez comme un devoir de classe. Ça a plu à tout le monde aux États-Unis. C’était énorme. C’est un des livres que j’ai lus plusieurs fois dans ma vie.

Salinger refusait qu’on en tire un film…

Je peux le comprendre. Il avait écrit son livre. Le livre existait par lui-même. Ça ne l’intéressait pas. Il ne voulait pas participer à cette civilisation commerciale.

Pourriez-vous vivre comme lui, en reclus ?

Ça, non. J’ai besoin de la ville, des cafés, des restaurants, des librairies, des embouteillages, des théâtres, des gens qui marchent autour de moi, qui font du shopping.

Vous devez être malheureux, ces jours-ci…

Oh là là, c’est un cauchemar ! Vous sortez dans Manhattan et les boutiques sont fermées. Les rues sont vides. Ça ressemble à un film de science-fiction. C’est épouvantable, une catastrophe. Un des pires moment de ma vie.

Avez-vous peur ?

Oui. Je reste chez moi la plupart du temps. C’est une affreuse façon de vivre. Les gens se lancent dans des spéculations. Les uns disent que ça va durer six mois, d’autres deux ans, ou cinq. Cette expérience est déprimante.

Vous dites que vous étiez « un petit garçon qui aime le cinéma, les femmes et le sport, qui déteste l’école et rêve d’un martini dry ». Vous n’avez pas changé, si ?

Certains de mes goûts ont changé, mais pas beaucoup. J’aime toujours W. C. Fields, Tennessee Williams. J’ai grandi, mais j’aime toujours les mêmes gens.

Selon vous, votre personnage qui est le plus proche de vous est Cecilia, de La Rose pourpre du Caire. Pourquoi ?

Je suis quelqu’un qui va au cinéma tous les jours, qui est heureux dans l’écran, qui préfère la vie fictive des films, une vie meilleure que la vie réelle.

Quel est le premier et le dernier film que vous avez vu ?

Je ne me souviens pas du premier. Je devais être tout petit. J’en ai vu tellement… Quant au dernier, à part des documentaires, The Irishman, de Scorsese.

Si vous n’aviez pas été réalisateur, vous auriez pu être magicien ou joueur de base-ball…

Joueur de base-ball professionnel, ça non, je n’étais pas assez bon. Mais j’aurais pu être magicien. Je restais seul et je m’entraînais. Sinon, j’aurais pu gagner ma vie au poker. J’étais très doué, à une époque. J’ai même gagné de l’argent pendant des années. Il fallait que je fasse quelque chose de ma vie. Mes amis devenaient médecins, architectes. Je voulais quelque chose d’excitant. Je ­trouvais que détective avait du glamour. J’ai même envisagé de devenir cow-boy. Mais je ne vois  aucun intérêt à tourner des westerns.

Vous refusez le titre d’intellectuel. Ce n’est pourtant pas une insulte ?

Je n’ai jamais été génétiquement un intellectuel. Un intellectuel s’intéresse à la politique, à la philosophie, à la littérature, à la mystique. Moi, en grandissant, je n’avais pas d’intérêt particulier pour la lecture. J’aimais des sujets beaucoup plus communs, comme le base-ball.

Vous listez les chefs-d’œuvre que vous n’avez pas lus (Ulysse, Don Quichotte, Lolita, Dickens), mais vous avez lu Michael, un roman de Joseph Goebbels. Quelle idée !

J’étais éclectique. Je n’avais aucun plan préconçu. Je lisais de façon aléatoire. J’étais curieux. J’allais dans les librairies et je tombais sur des choses étranges. Je lisais selon ma fantaisie.

À propos de curiosité, on apprend que vous avez voulu détruire Manhattan avant sa sortie…

Oui. Ce que j’avais vu me décevait. J’étais prêt à faire un autre film pour rien. J’avais des réserves là-dessus. Les producteurs ont pensé que j’étais fou.

Vous montrez toujours vos films à Diane Keaton. Avez-vous fait la même chose pour le livre ?

Oui. J’ai donné le livre à plusieurs amis. Elle en faisait partie. Je voulais être sûr de ne rien avoir oublié. Je suis très proche d’elle artistiquement.

Mia Farrow a-t-elle lu le livre ?

Je n’en ai aucune idée.

« On ne s’amuse vraiment que dans le travail », dites-vous…

C’est vrai. Quand votre travail touche au domaine artistique, il ne faut pas écouter les amis, les producteurs. Il faut juste travailler. N’écouter que vous.

Vous avez tourné Café Society comme si vous écriviez un roman. Pourquoi ne pas le faire ?

J’ai essayé une fois. J’ai trouvé ça très dur. Il faudrait écrire un vraiment bon roman, sinon ce n’est pas la peine. J’ai échoué à ça, écrire un bon roman selon des critères littéraires. Les gens l’auraient peut-être acheté parce qu’ils connaissent mon nom.

Bergman vous a invité sur son île et vous n’y êtes pas allé…

J’aimais parler avec Ingmar quand il était à New York et on se parlait souvent au téléphone. Mais je ne voulais pas prendre l’avion pour aller dans cette île obscure. Je ne suis pas un grand voyageur, ni quelqu’un de très aventureux. Il y a la fatigue, les contrôles. Je ne suis pas fait pour ça.

Rencontrez-vous d’autres réalisateurs ?

Parfois, oui, s’ils estiment que je peux leur être utile. Je parle avec Steven Spielberg, Coppola, Scorsese. Je ne crois pas que je puisse leur apprendre grand-chose. Je fais juste de petites suggestions. Je donne un avis général, à l’instinct.

Le public américain n’a toujours pas pu voir Un jour de pluie à New York, produit par Amazon…

Aux États-Unis ? Pas possible ! Le film est sorti partout dans le monde, en Asie, au Moyen-Orient. Je l’ai fini il y a longtemps. Ils ne veulent pas le sortir ? Ça ne me concerne pas. Tout cela est derrière moi.

Votre dernier film, Rifkin’s Festival, a été tourné en Espagne. Vous ne trouvez plus de producteur dans votre pays ?

Depuis Match Point, j’ai souvent tourné à l’étranger. Je ne voulais pas que les producteurs américains interviennent sur ce film. Les Européens ont une approche différente. Ils ne se considèrent pas comme des artistes, mais se contentent d’être des banquiers. San Sebastian est un endroit magnifique. Et je tournerai le prochain à Paris.

Vous dites que si vous ne pouviez plus tourner, cela ne vous dérangerait pas…

L’industrie du cinéma vit de tels changements… De plus en plus de films passent directement à la télévision. Les réalisateurs doivent se battre pour que leurs films sortent en salle, même pour trois ou quatre semaines seulement. Quand le virus aura disparu, je ne sais pas si les gens retourneront au cinéma, s’ils voudront encore partager cette expérience fabuleuse avec six cents personnes.

Votre souhait est qu’après votre mort vos cendres soient dispersées pas loin d’une pharmacie. Quelle épitaphe ?

Rien. Quand je mourrai, je serai très heureux d’être oublié. Je n’aurai aucun problème avec ça. Une crémation, aucun héritage, pas de pierre tombale. Rien.

Y aura-t-il une suite à Soit dit en passant ?

Je ne pense pas. Ou alors il faudrait que j’écrive une réfutation !

Vous ne lisez jamais ce qu’on écrit sur vous…

Il ne faut pas être obsédé par soi-même. C’est un piège terrible.

Alors si on écrit n’importe quoi sur vous, ce n’est pas grave ?

Je le saurai ! ■

rpd, blabla bobo

Dans l’EXpress, le philosophe de service du Monde, Roger Pol-Droit nous donne encore la leçon historique de la philosophie. S’il est vrai que la philosophie ne peut être qu’histoire d’elle-même, ce type d’article au titre alléchant est assez exaspérant. Il ne s’agit que de faire croire aux lecteurs qu’ils sont philosophes, intellectuels, intelligents et emploient bien leurs bicyclettes entre le Marais et les Tuileries.

Comme d”habitude, je colle et je reviens. Etant ici précisé que j’ai abandonné, si j’ose dire “l’abandon-” du commentaire sur la période, convaincu par une personne que j’estime plus que quiconque, qu’il fallait y mettre mon grain de sel. Un de plus. Soit.

Roger Pol-Droit : Voltaire contre Rousseau, le duel continue dans le “monde d’après” Paru dans l’Express.

Par Roger-Pol Droit *Par Roger-Pol Droit *

“Virus, progrès technique, écologie, mondialisation, décroissance… L’opposition entre les deux géants des Lumières reste le clivage majeur de notre époque.”

“Ils côtoient, comme nous, de ravageuses épidémies. Voltaire, à 29 ans, contracte la variole et frôle la mort. Le Dr Gervasi, qui a combattu la peste au Gévaudan, lui fait boire en trois semaines… 200 litres de limonade ! Le jeune homme résiste au traitement et au virus. Il a beau être “délicat et faible”, son obstination à vivre l’emporte. Elle le sauvegardera jusqu’à 84 ans, soutenue par sa confiance dans la science médicale. Car Voltaire est convaincu que ce savoir progresse sans cesse et améliore la santé de tous. Patriarche, il ne jure que par Tronchin, son Esculape genevois, qui participe aux balbutiements de la vaccination et la défend dans l’Encyclopédie. Rousseau, lui, avait 31 ans quand il fut placé en quarantaine, à Gênes, à cause d’une résurgence de la peste. Plutôt que de rester cloîtré sur le bateau dans la chaleur d’août, il va camper au lazaret désaffecté, dans des conditions spartiates : “Ni fenêtre, ni table, ni lit, ni chaise, pas même un escabeau pour m’asseoir, ni une botte de paille pour me coucher”, dit-il dans les Confessions. Mais Jean-Jacques n’est pas vraiment inquiet. Il a foi en la nature plutôt qu’en la médecine, et de plus en plus.

Sur ce registre, les opposent, de façon croissante, confiance et défiance envers les médecins, leurs connaissances et leurs compétences. Voltaire se soigne avec quantité de préparations, expérimente volontiers de nouveaux traitements, consulte souvent, surveille scrupuleusement son corps. Rousseau, qui souffre affreusement de la vessie, finit par envoyer promener la Faculté, rompt avec chirurgiens et apothicaires, et se convainc que la marche lui fait plus de bien que les drogues.

Tous deux, de santé fragile, vivent en un temps où la moindre maladie peut fort mal finir. Mais, pour se soigner, l’un choisit la science, l’autre la nature. Ce clivage, depuis, n’a fait que s’accentuer. Voltaire, aujourd’hui aimerait les scanners, les tests ADN et les traitements de pointe. Rousseau ne jurerait que par les plantes, les médecines douces et les thérapies alternatives.

En fait, ils sont étonnamment proches de nous. Bien sûr, ils s’éclairent à la bougie, ignorent le Web, les antibiotiques, les trains, etc. Pourtant, ils se révèlent plus actuels que jamais. Leurs désaccords habitent toujours nos débats et nos disputes. Voltaire et Rousseau s’affrontent, en permanence, dans les querelles d’aujourd’hui : médecine, mais aussi croissance, consommation, mondialisation, politique… Même quand nous l’ignorons, leur conflit, en secret, est partout présent. Chacun d’entre nous se tient côté Voltaire ou côté Rousseau. Démonstration.

Derrière ces choix médicaux, des décisions philosophiques, des choix fondateurs, à la fois métaphysiques et historiques. Voltaire juge la nature hostile, ingrate et menaçante. L’humanité s’en protège lentement, grâce à sa raison, ses connaissances et son travail. Dans Le Mondain, en 1736, le philosophe imagine Adam et Eve avec ongles noirs et cheveux sales. Baignoires, parfums, carrosses sont des bienfaits, des fruits de l’industrie, des avancées de l’histoire, des indices de civilisation. L’espèce humaine avance en sortant des ténèbres et du malheur, en s’efforçant d’échapper peu à peu au fanatisme et à l’intolérance.

A l’opposé, Rousseau voit la nature douce et sage, généreuse et protectrice. S’en éloigner, c’est se perdre. Se couper de la nature fait entrer dans l’artifice et la méchanceté. Plus se développent techniques et savoirs, moins on entend sa voix première, qui est celle de la vie et de la sagesse. La vision de la marche de l’histoire s’en trouve inversée : un grand déclin conduit de la simplicité vers l’égarement, de l’équilibre au désordre, de la vertu au vice, des vérités simples aux mensonges sophistiqués. Ce que nous appelons progrès serait une régression.

Aujourd’hui, Voltaire inspire, même à leur insu, ceux qui n’oublient pas combien nous vivons mieux qu’hier, cent fois, et disent comment nous devons aux savants, et aux ingénieurs, une existence plus longue, plus confortable, plus diversifiée, finalement plus libre. Au contraire, chez ceux qui dénoncent le bilan négatif du développement, la déshumanisation hypermoderne, le chaos qui guette les sociétés complexes, c’est bien la voix de Jean-Jacques qui s’entend, qu’on le connaisse ou non, qu’on le mentionne ou pas. En rester à ce constat serait trompeur et tronqué. Car leurs visions opposées de la nature, de l’action humaine, du cours de l’histoire ont des quantités d’autres conséquences. Sur la consommation, les relations à l’argent, la mondialisation, et bien sûr la politique. Entre autres.

Voltaire aime l’argent. Non pour l’amasser, mais pour le dépenser. Parti de presque rien, il construit un petit empire financier, de spéculations en placements, d’affaires rondement menées en prêts lucratifs. A sa mort, il détient la 20e fortune du royaume de Louis XVI. Plus que l’appât du gain, c’est le goût du luxe qui le motive. Il aime la soie, les truffes, le champagne et les carrosses.

Rousseau, lui, préfère la laine, les ragoûts, les vins rugueux. Et presque toujours voyage à pied. Le plus simple est toujours le mieux. Il sait évidemment goûter les belles choses, mais ne veut pas en devenir esclave. Jean-Jacques privilégie sa liberté, son indépendance, se méfie des pièges de la propriété comme des addictions du confort.

Goûts personnels ? Sans doute, mais surtout deux visions du monde, qui s’affrontent toujours, et de plus en plus. “Mondialisation” ne se disait pas encore, mais l’auteur de Candide en était déjà fervent partisan, heureux que son café vienne de Saint-Domingue et ses porcelaines de Chine, confiant dans la prospérité qu’engendre à ses yeux le commerce planétaire. Logiquement, le “local” domine la conception de Rousseau, qui pense spontanément en termes de voisinage, de village, de région, d’autosuffisance. D’un côté, les longs trajets, à grande échelle. Sur l’autre versant, la voie directe, la proximité. En fait, il en va de même en politique.

Ami du progrès, de la tolérance, des libertés, le Patriarche de Ferney est ennemi du désordre. Les monarques doivent s’améliorer en devenant philosophes, comme Frédéric II de Prusse ou Catherine de Russie. Mais il n’est pas question de les destituer, et moins encore de défaire hiérarchies, préséances et distinctions. Il faut donner au peuple du travail et du pain, mais aussi des croyances et des craintes, pour qu’il se tienne tranquille.

A l’inverse, l’auteur du Contrat social a toujours fait de l’égalité la règle primordiale, qui doit passer avant toute autre. Dans tous les domaines. Cet égalitarisme l’entraîna d’abord à contester aussi bien les formes de la politesse que les signes de l’arrogance des puissants. Plus radicalement, il fait de l’égalité politique et de la démocratie directe l’idéal théorique et pratique du gouvernement. Si vous défendez avant tout les libertés – d’entreprendre, de circuler, de s’exprimer – Voltaire parle en vous. Si vous prônez partout l’égalité – dans les emplois, les décisions, les pouvoirs – Rousseau vous ventriloque.

Rousseau, aujourd’hui, paraît plus sympathique. Il y a indiscutablement, chez Voltaire, du courtisan, de l’intrigant manipulateur, de l’homme de pouvoir. L’un s’émeut, l’autre se moque. On a souvent cette impression : Rousseau rassure, parce qu’il est plus humain, tandis que Voltaire, caustique, sceptique, met mal à l’aise. Je crois pourtant que cela est faux.

Car tout le mérite de Voltaire est finalement d’être un sceptique. Il prend la mesure de notre ignorance, de notre toute petite existence, perdue dans l’infini, et conseille de cesser de nous entre-tuer pour des bêtises. Mieux vaut nous entraider, à tout le moins coexister. Et, comme tous ceux qui doutent, il est pragmatique : refaire le monde est un rêve, changer l’homme une chimère. Ce n’est peut-être pas glorieux. Mais ce n’est pas dangereux.

Rousseau, en revanche, peut le devenir. Parce qu’il développe un point de vue radical, potentiellement révolutionnaire. Si tous les malheurs des humains viennent d’eux-mêmes et non de la nature, alors on peut refaire, de fond en comble, la société. On le peut, et on le doit. Au nom du bien, de la justice et de la vertu, qui autorisent tout. Chez le doux Jean-Jacques, un fanatique sommeille.

En définitive, à chacun de choisir son camp et son héros. Selon ses convictions et ses perspectives. Mais personne ne pourra soutenir qu’ils sont semblables. Ni même vraiment compatibles, bien qu’une tradition déjà longue ait tout tenté pour gommer leurs divergences. La Révolution française les a fait cohabiter au Panthéon, la IIIe République les a rapprochés comme ses deux pères fondateurs. Le Gavroche de Victor Hugo les a réunis en chantant “la faute à Voltaire, la faute à Rousseau”. Malgré tout, leur combat se poursuit, tous les jours. Sans fin.

* Philosophe, Roger-Pol Droit a publié Monsieur, je ne vous aime point, sur l’amitié impossible entre Voltaire et Rousseau (Albin Michel), livre qui vient de recevoir le prix Montesquieu.

ME REVOILA

Franchement, je suis assez furieux. Furieux de la stupidité d’un tel article. Surtout en sachant que Roger Pol-Droit n’est pas un grand faiseur, même s’il a, inconsciemment, comme tout chroniqueur du Monde (même s’il s’aventure ailleurs) la plume accrocheuse de l’ambiance dominante (ici, l’écologie du Marais, pas le poitevin qui plairait à Rousseau, à le lire, mais celui de Paris. RPD est un homme de qualité, un humaniste, un non-méchant, un homme sympathique et fréquentable. Même si, ici, il “vend” son dernier bouquin, évidemment.

Mais franchement, se servir de la philosophie et de deux philosophes, en tous cas des penseurs, qui attirent toujours le chaland (comme Montaigne que personne ne comprend , mais qui fait très chic dans les pages des revues hebdomadaires) est assez irritant.

Le seul article qui pouvait être intéressant est celui qui critiquait les ramasseurs de l’Ecologie parisienne qui hurlent, de leur balcons confortables que c’est la faute non à Voltaire que le virus est arrivé, mais à celle de ces hommes qui n’ont pas respecté la nature, qui ont laissé se perpétuer les marchés de pangolins et autres animaux à virus dangereux, (cf précédent billet).

Ce n’est pas “la faute à Voltaire”, c’est, encore la notre, petits humains devant grands rats des champs et nous devrions (comme toujours) nous flageller.

Mais la nature n’est pas le bel arbre , presque notre frère, qu’on regarde d’une chambre confortable dans sa maison de campagne ou dans une randonnée “de rêve” (“j’ai fait 20 kms de rêve), mais celle que les religieux nomment le maître de l’Univers, dans son injonction, nous demandant de dominer, non pas par bonheur de la domination, mais, plus simplement parce qu’elle peut être dangereuse cette Nature qui n’est pas “nous”, dans l’unité matrimoniale (“la mère Nature, Gaia) ce que clame l’écologiste de service. Et qu’il faut la dominer, en réalité l’apprivoiser et ne la laisser recouvrir nos corps et nos cerveaux de son monde, même si le vert est une belle couleur, ne pas se laisser aller à son adoration, laquelle nous met à genoux. Oui, évidemment que l’homme est dans la nature , mais c’est connu depuis que le monde des idées existe (qui n’est pas celui de la Nature qui est existence, action et process, et non un magma immobile et serein) : on est toujours dans la logique et contre.

Pour finir : halte au petit romantisme parisien. Il est temps de ne plus se culpabiliser et revenir à l’humanité. Pas à l’humanisme, qui dévie toujours dans le gnangnan lorsqu’il n’est pas maîtrisé (philosophiquement s’entend), mais, on le répète ; dans l’humanité. En réalité, il faudrait une nouvelle Renaissance. Celle de l’Homme sans idole (ici, la Nature). L’idolâtrie est notre plaie, notre virus de pensée.

destin de la fragilité

Propos d’un médecin brésilien : “Ce qui détermine si une personne va vivre ou mourir face à la contamination par le virus est son immunité”. Ce qui prévaut, ce n’est pas le pouvoir d’agression du virus mais la fragilité des personnes”.

Il a sûrement raison. Et l’on voudrait poursuivre tant l’idée sous-jacente st flagrante. Même Comte-Sponville considère qu’on ne peut ruiner un pays pour protéger des personnes fragiles, pas si nombreuses, en réalité les vieux.

Les Grecs anciens, considéraient que la faiblesse était l’une des essences de la condition humaine et les romains que la fragilité, la brisure potentielle d’un être était le lieu central des hommes. L’un des “existentiaux”, comme dirait le pédant qui citerait Heidegger.

L’on sait aussi que “l’évitement” de la fragilité est essentiel dans le comportement humain.

La question se pose donc, sans que l’on ait besoin de citer Sénèque, Kant ou Saint-Augustin, ce qu’on peut retenir du propos du médecin brésilien.

Simplement (je viens de le dire au téléphone) que la fragilité étant un bien commun à l’homme, son succédané (la fragilité physique), certes inégalitaire au regard des âges et des gènes constitue un fait. Et non une action.

Dès lors, l’on se doit de s’interroger sur ce fait inégalitaire. Comme on s’est interrogé sur le rétablissement d’une égalité des chances dans l’avancée politique.

Il n’est pas certain qu’une réponse précise puisse être donnée. Simplement dire que tous sont fragiles sur cette terre et que ceux qui sont fragiles physiquement sont aussi sur cette terre. En clair, la société doit-elle, en admettant la fragilité, comme l’inégalité proclamer que “tous les fragiles sont égaux en droit” ?

Je ne continue pas. Trop délicat. Comme l’histoire que je racontais aux enfants, il y a longtemps, en leur posant la question suivante : un homme est en train de mourir et si mille personnes ne mangent pas leur Mac Do journalier, il survit. Que faire et que disent les mangeurs et l’Entreprise Mac Donald ? Il n’y a pas un seul enfant qui répondait qu’on n’allait pas arrêter le monde pour une personne. Tous hurlaient qu’il fallait arrêter, immédiatement, de manger son hamburger. Mais c’étaient des enfants, qui mangeaient à leur faim.

suite, française, bwv 000

Non, ce n’est pas une suite française de Bach, juste un petit jeu de mots dans le titre, pour fustiger la dégoulinade des penseurs du covid. Encore philomag. Je ne vais pas me débabonner, mais presque. Je soutiens mais du bout des bras…

Mme Francoise Dastur, pour nous dire, entre autres immenses philosophes, “ce qui a changé” nous propose le texte suivant :

Françoise Dastur. “À vivre pleinement dans l’instant”

Philosophe, professeure honoraire des universités, cette spécialiste de pensée allemande et de phénoménologie a publié plusieurs ouvrages sur Husserl, Heidegger et Merleau-Ponty (Chair et langage. Essais sur Merleau-Ponty [Encre marine, nouv. éd., 2016]). À partir de ces auteurs, elle a développé une réflexion sur le temps et la mort (La Mort. Essai sur la finitude, PUF, 2007), mais également sur les rapports entre pensée occidentale et orientale (Figures du néant et de la négation entre Orient et Occident,

« Ce qui est fortement remis en question, c’est la mondialisation. Il est intéressant de relire à cet égard un ouvrage fondateur paru dans les années 1960 : L’Homme unidimensionnel de Herbert Marcuse, ancien élève de Heidegger naturalisé américain. Il critique la réduction de notre humanité à une seule référence – “l’unidimensionnel” – produite par l’industrie libérale, celle du consommateur et des modes de vie standardisés. Notre civilisation a promu le tourisme de masse, la folklorisation des cul­tures, un divertissement homogène (provenant principalement des États-Unis) ou le globish au lieu de la diversité des langues. Or, avec cette culture du divertissement, on essaie d’échapper au souci profond qui devrait être le nôtre : celui de prendre conscience de ce qui est réellement important pour les mortels que nous sommes. Le confinement nous a renvoyés à nous-mêmes, nous invitant à éprouver la longueur du temps, à nous interroger sur la nature de notre rapport à notre environnement immédiat et à vivre vraiment au présent. Car le présent est cette dimension essentielle qui retient en elle tout le passé et anticipe tout l’avenir. C’est ce que ce penseur du temps que fut Husserl nommait “présent vivant” pour le distinguer d’un présent “mort” qui se réduirait à cet atome qu’est l’instant abstraitement découpé sur la ligne du temps. Vivre pleinement dans l’instant, c’est s’ouvrir à la situation que l’on occupe dans le monde et la prendre résolument en charge, comme le soulignait également Heidegger. Pour lui, l’être humain est essentiellement un être “pour” la mort, c’est-à-dire destiné à mourir. Il a appelé par là les hommes à devenir des mortels. Cela voudrait dire pas seulement affronter en pensée la mort et la regarder en face, mais voir en elle davantage qu’une imperfection : le fondement de l’existence humaine. L’angoisse de la mort n’est nullement incompatible avec la joie d’exister. »

Je ne savais pas que de telle pensées existaient encore, je ne savais pas que de telles inepties, tirées d’un résumé de tous les lieux communs qui ont émergé depuis la naissance du monde, pouvaient, encore, hors des amphis d’étudiants en grève et des colloques pour cadres moyens en quête de culture, exister.

On pardonne à Philomag. Faut bien imprimer.

J’arrête de lire et passe aux cahiers de l’Herne qui ont consacré une livraison à Roth (devinez lequel ?)

co-vide, vide.

ACS
Wolff

Aujourd’hui, ma gardienne glisse sous ma porte un nouveau magazine de “Philosophie Magazine”. Je prends avec un Sopalin et range dans un coin. Immédiatement, je vais en ligne, la lecture sur mon écran, la copie de ce qui peut m’intéresser, son partage avec d’éventuels lecteurs, me fournit l’aisance de la copie, du commentaire, du surlignage, de l’apostrophe et de l’offre du texte à mes ami (e)s.

J’ouvre donc la magazine en ligne et lis, dans le sommaire, un entretien entre André Comte-Sponville et Francis Wolff. J’ouvre, copie sur mes archives, et suis hâtif de lire.

ACS est un philosophe spinoziste, qui a accompagné des décennies de lecture philosophique. Il a souvent tort. Il a souvent raison. C’est un ami.

Francis Wolff est un humaniste, plein d’érudition, de coeur et de passion. C’est un ami. Au surplus, amoureux, comme moi, de la Corrida, la défendant, avec de beaux mots dans ses articles et bouquins (à cet égard, il est curieux de constater que le grand humaniste est un aficionado et la matérialiste spinoziste, certainement un anti-corrida. Comme quoi, l’humanisme mène à la corrida. Mais je me m’éloigne du propos. Il me faudrait une âme soeur qui me somme d’arrêter de dévier..).

Donc, je suis certain que je vais, dans la lecture, me délécter de ces esprits assez atttachants.

Et bien non. Du lieu commun, enrobé de chocolat verbeux, qui cherchent leur centre, en frôlant les bords, qui se gavent de leurs locutions, certes, appréciables, mais sans saveur ni odeur du neuf.

J’avais donc, un peu contrit, décidé de critiquer, au fil des phrases, comme je le faisais, assidument, avec ferveur, dans des années de fécondité théorique trop intense pour le repos de la vérité.

J’ai décidé que non.

Je donne le texte, comme à l’habitude et me tais. Les lecteurs peuvent se dire , se faire leur “opinion” (fantôme), sans commentaire (le “commentaire en dessous du billet de ce site étant rare, presque interdit)

les cils de la perle

La science fait parler l’art ( TELERAMA, LE 12/05

Allez comprendre les mystères des hasards. Il y a quelques jours, je publiais un billet sur la Jeune fille à la perle (cf infra).

Etvoilà que je tombe sur un article de Telerama, publié hier 12/05.

Allez comprendre. Je ne sais pas pourquoi Vermeer m’est venu sous la plume l’autre soir…Je ne sombrerai pas dans la philosophie de l’hermétisme qui explique le monde par mille tours de magie…Juste un hasard. Je donne l’article ci-dessous. Il peut intéresser les chercheurs du minuscule (ici les cils)

Découverte : “La Jeune Fille à la perle”, de Vermeer, avait bien des cils

La Jeune Fille à la perle, de Johannes Vermeer de Delft (1632-1675).
Musée Mauritshuis de La Haye.

Le musée Mauritshuis de La Haye a mené de nouvelles analyses sur le tableau le plus célèbre qu’il abrite : “La Jeune Fille à la perle”, de Johannes Vermeer. Motifs, couleurs… autant de révélations sur cette œuvre que sur la manière de travailler du peintre de Delft.

À gauche : une microphotographie 3D de l’oeil droit de La Jeune Fille à la perle. À droite : une analyse Macro-XRF (macro-X-ray fluorescence) montrant que Vermeer a peint des cils.

Peut-on révéler ses secrets et garder son mystère ? Lancé en 2018, le projet de recherche baptisé « The Girl in the Spotlight » a soumis le célèbre tableau de Johannes Vermeer (1632-1675), La Jeune Fille à la perle, à un nouvel examen. Après sa restauration en 1994 et l’étude en profondeur qui l’avait accompagnée, les nouvelles techniques ainsi que la microscopie numérique et l’analyse d’échantillons ont permis de s’approcher un peu plus de cette Joconde du Nord.

Première découverte : comme sa cousine italienne, des cils fins, aujourd’hui invisibles, avaient bien été peints par l’artiste. Et, loin de l’aplat sombre que nous voyons aujourd’hui à l’arrière-plan, la figure se détachait sur un rideau vert foncé dont la couleur et les plis ont eux aussi été effacés par le temps. Mais ce sont surtout les gestes du peintre qui se révèlent : les images infrarouges confirment d’amples et vigoureux coups de pinceau (dont on retrouve quelques poils) pour la sous-couche sombre, marquant par exemple en début de processus l’ombre sur le dos de la jeune fille. Le travail se fait ensuite du fond au premier plan : le visage, la veste jaune, le col blanc, le turban et la perle. Ou plutôt son illusion, car celle-ci se limite à quelques touches de blanc, sans crochet pour la rattacher à l’oreille.

Ce n’est pas un portrait, c’est une trogne !

« Nous n’avons pas découvert qui était cette jeune femme et si elle a vraiment existé. Mais nous nous sommes un peu rapprochés d’elle », confiait Martine Gosselink, directrice du musée Mauritshuis de La Haye où la toile est exposée. Si beaucoup pensent que le modèle est une des deux aînées du peintre, cette information est loin d’être capitale. Car il s’agit là non d’un portrait mais d’une trogne, ou tronie, genre distinctif de l’âge d’or de la peinture néerlandaise (XVIIe siècle), dont l’objet est de représenter une physionomie particulière, parfois parée d’accessoires luxueux ou exotiques, sans que la ressemblance ou l’identité du modèle soit un enjeu particulier.

L’inconnue nous en dit toutefois beaucoup sur son temps et son milieu. Elle a été peinte à partir de matières premières venues du monde entier, du Mexique pour le vermillon à ce qui est aujourd’hui l’Afghanistan pour le bleu outremer obtenu avec le précieux lapis-lazuli. Un témoignage en soi de la prospérité des Provinces-Unies, puissance commerciale dominante de l’Europe du XVIIe siècle. Et de l’âge d’or de leur peinture. Le calvinisme proscrivant la représentation de thèmes religieux (interdite dans les églises, tolérée dans les lieux privés), les peintres réinventent à cette époque leur art, employant leur talent dans les genres picturaux dits mineurs. Prolifèrent paysages, vues urbaines, trognes ou scènes de la vie quotidienne, dans les vapeurs de tavernes ou l’intimité du foyer.

Le mystère Vermeer

Vermeer, qui à la différence de beaucoup ne peint pas pour vivre, est alors un artiste de premier plan. Pourtant, après sa mort, son nom tombe peu à peu dans l’oubli et il faudra attendre le XIXe siècle pour que son œuvre soit redécouvert. Aussi ne sait-on rien sur son apprentissage et bien peu sur sa vie. Né d’un père aubergiste et marchand d’art, il passe toute son existence à Delft, où il épouse en 1653 Catharina Bolnes, issue d’une riche famille catholique. Converti et convaincu, il s’installe chez sa belle-mère où il conçoit une quarantaine de toiles et pas moins de 15 enfants – dont 4 mourront en bas âge.

Le mystère nourrit le mythe et il y a chez Vermeer beaucoup de mystère. Car le peintre a beau être pour Paul Claudel « le plus clair, le plus transparent qui soit au monde », son œuvre est celui du secret : une femme lit attentivement une lettre dont le contenu nous échappe ; une dentellière est toute à un ouvrage invisible ; une autre sourit à l’objet de son attention situé hors champ… Mieux : il y a souvent chez lui un obstacle (table, chaise, rideau) entre le spectateur et la figure principale. Voilà pour l’historien de l’art Daniel Arasse le ressort du mystère Vermeer : « Un secret dont nous sommes les destinataires exclus et dont le dépositaire est le tableau. » “Ces Hollandais-là n’avaient guère de l’imagination ni de la fantaisie, mais énormément de goût et la science d’arrangement.” Vincent Van Gogh

À la différence de La Dentellière ou de La Laitière, La Jeune Fille à la perle relève la tête et nous interpelle presque. Qu’a-t-elle à nous révéler ? De 1665, date de sa création estimée, jusqu’en 1881, on ne sait rien d’elle. La toile refait surface lors d’une vente aux enchères où elle est achetée 2 florins et 30 cents par un collectionneur qui la prête puis la lègue au musée Mauritshuis où elle devient une icône, inspirant romans, films, publicités et fantasmes. Pour Malraux, qui la plaçait au-dessus de tout, elle est pareille à un « galet translucide » où resplendit la palette du peintre. Jaune citron, bleu pâle, gris perle, un accord qui fit dire à Van Gogh dans son journal : « Ces Hollandais-là n’avaient guère de l’imagination ni de la fantaisie, mais énormément de goût et la science d’arrangement. »

« Cet homme qui est le plus grand maître de la matière peinte n’a aucune imagination », renchérissait l’historien de l’art Élie Faure (1873-1937), louant en même temps ses qualités suprêmes. Celles d’un peintre capable de transcender la banalité de ses thèmes en les chargeant de profondeur, de résonance. Un puissant sortilège à la formule encore inconnue, qui mêle science de la composition, art du modelé, traitement prodigieux de la lumière, mais aussi sens du silence et du temps suspendu.

La perle, symbole de pureté

Le charme de cette jeune fille passe par les reflets sur ses yeux de porcelaine, la commissure de ses lèvres et bien sûr la perle, symbole de pureté mais aussi de trésor caché. Ici, sa taille et son éclat démesurés laissent penser qu’il pourrait s’agir d’une fausse. Un simulacre renvoyant à la source de lumière située hors champ, comme ces yeux si vivants qui interrogent notre regard. Et nous laissent entrevoir la part d’invisible qui réside et résiste dans la peinture de celui qui fut surnommé « le sphinx de Delft

le miroir

Imaginez-le, imaginez-le. Il est sur un banc, sur le trottoir d’une grande avenue. Il vient de fêter ses 91 ans. Dans un bar, avec les habitués. Pas de champagne. Bière et pâté de campagne. Sur le banc, il vient de se dire qu’il se découvre. Se découvrir. C’est comme si l’Avenue devant lui devenait un miroir. Il se dit que le bruit est un miroir. Il sourit. Devant lui passe une moto de banlieue. Il sourit encore.

perle

Une discussion assez simple (les meilleures) avec un membre de ma famille sur l’incroyable adoration de la Joconde, sur laquelle des milliards de yeux se sont posés et milliers de pages ont été écrites. Rien, à dire, la toile de De Vinci est admirable. On ne va pas tomber dans la sempiternelle critique des japonais au Louvre ou sur l’abrutissement des masses dont l’idiot se délecte, pour faire croire qu’il ne l’est pas.

Alors, on me pose la question, on a lu mon billet sur les femmes prises dans la rue, mon obsession de la prise unique d’un oeil inédit. On me demande s’il existe un tableau concurrent, une femme dans un tableau.

Je n’hésite pas une seconde, je crie presque dans le combiné : “la jeune fille à la perle” de Vermeer (1665). Je suis assez content : elle est allé voir en ligne un musée Vermeer. C’est ma B.A de la journée (il y a un autre mot en hébreu, plus dense)

Arrêtez tout et regardez les yeux de la jeune fille. Et ses lèvres magnifiquement entrouvertes, d’un rouge qui les sublime, sous un turban qui est exact. On ne voit pas la perle. Le titre a été donné pour répertorier.

PS. Je n’ai pas dit, trichant un peu, juste pour ne pas encore nous coller à De Vinci, que certains critiques nomment la jeune fille de Vermeer “la Joconde du Nord”. On m’aurait dit que ma réponse était convenue. Pourtant j’assure que non. Mais, j’ai évité par l’absence de mention de la précision, la déviation de l’essentiel : la jeune fille. A défaut, on aurait sombré dans la “discussion”. Encore. Ca discute, ça discute. Fatigant pour les oreilles qui voudraient se transformer en yeux bleus, pour voir un ciel sans bruit.

la France, c’est l’Amérique

L’Amérique… pour la CGT.

Le titre sonne comme un Tintin en Amérique. Le capteur de jeux du mot se risquerait à écrire “tintamarre”.

Dommage, il faut redevenir sérieux et frôler la tribune politique, exécrable, je la fuis, l’opinion de tous, grands spécialistes de tout partout, n’existant pas. Mais on a lu les mots d’ordre de la CGT, grèves, interdiction d’ouvrir, obtention en justice de la fermeture d’une usine, comportement fustigé par tous, même par les syndicalistes. Beaucoup insultent. Il ne faut pas. C’est une des France.

Comme l’écrit un éditorialiste du Figaro, Elle (la CGT) appelle à paralyser les commerces et tous les services publics. Le secteur automobile agonise ? Elle obtient – temporairement, pour des questions de forme – la fermeture d’une usine Renault. Rêvant d’une France éternellement à l’arrêt, le syndicat pyromane invoquera demain le droit de retrait pour bloquer les transports publics.

J’avais, au grand dam de mes interlocuteurs, dès le début de la crise sanitaire, appelé à une réduction drastique des salaires les plus élevés, pour relancer l’entreprise et l’économie. En aidant, par ailleurs, par une augmentation de l’impôt des plus aisés (non pas les milliardaires, mais juste les cadres moyens et supérieurs) ceux qui allaient subir l’après-Covid, de plein fouet. Des pauvres, beaucoup dans les campagnes, loin des subventions à la culture parisienne accordés par un Président démagogique en bras de chemise..

Les américains, eux ont compris. Pourtant, nous sommes le peuple de l’invention des droits de l’homme et de la redistribution. Il n’y a rien à comprendre. La CGT, pourtant non représentative, à peine quelques adhérents, casse le pays. Je ne commente plus, de peur de tomber dans la diatribe trop facile, je colle l’article. Mais je ne peux m’empêcher de hurler sans bruit devant l’idiotie. La France mérite mieux. Je suis désolé de ce billet, j’avais juré que non.

ÉTATS-UNIS Les réductions de salaire se révèlent une alternative intéressante pour de nombreuses entreprises américaines depuis deux mois plutôt que des pertes sèches d’emploi. 36 % des patrons de petites sociétés, employant moins de 500 personnes, ont ainsi réduit leur propre rémunération pour limiter leurs coûts, selon le sondage de CNBC/SurveyMonkey réalisé fin avril auprès de 2 220 entreprises. Et 8 % ont aussi diminué les salaires de leurs employés. Rappelons que les petites entreprises représentent plus de 40 % de l’emploi et du produit intérieur brut aux États-Unis. Une étude, réalisée en avril pour le Conference Board, auprès de 3 000 entreprises cotées en Bourse, donc de taille plus grande, montre que plus de 60 % d’entre elles ont réduit les salaires de leurs cadres dirigeants, tandis que 11 % ont également abaissé les rémunérations de l’ensemble des cadres supérieurs.

Ce phénomène s’explique d’abord par la conviction que la crise actuelle, née d’une décision sanitaire de confinement et non pas d’une crise financière, ne va pas se prolonger durablement. L’espoir d’un retour progressif à la normale d’ici quelques mois incite les Américains à consentir ces sacrifices. General Motors par exemple a demandé à ses 69 000 salariés, cols blancs, de réduire temporairement leur salaire de 20 %. Leur manque à gagner leur sera rendu, avec intérêts, au plus tard le 15 mars 2021.

Par ailleurs, les indemnités du chômage partiel sont moins automatiques qu’en France : il appartient aux chômeurs d’en faire la demande, non pas aux entreprises, même dans le cas de « furloughs », c’est-à-dire de mises à pied a priori temporaires, qui concernent la majorité des quelque 30 millions de nouveaux chômeurs. À cela s’ajoute une culture du travail très différente de la France, surtout pour les cadres qui jugent humiliant, voire indigne, de percevoir des subsides de l’État en période de crise.

Plus les entreprises sont grandes, plus la proportion de patrons ayant totalement renoncé à leur salaire est élevée. C’est le cas de firmes aussi différentes que des compagnies aériennes telles Delta, United ou Alaska, le conglomérat General Electric, la chaîne d’hôtels Marriott ou le géant de la restauration Darden Restaurants. Chez Disney, Ralph Lauren, ou encore le géant industriel Cummins, les patrons ont accepté une diminution de 50 %.

Baisse aussi dans la fonction publique 

Les baisses exemplaires des dirigeants sont plus marquées dans les secteurs directement affectés par le confinement, comme le transport aérien, l’hôtellerie, la restauration et les grands magasins. Exemple dans l’automobile, face à la dégringolade des ventes et les fermetures d’usines, les 300 plus hauts salariés de Ford reportent dans le temps le paiement de 20 à 50 % de leur rémunération.

La catastrophe frappe aussi durement des secteurs plus inattendus comme les équipements et services de santé. Les cabinets médicaux et cliniques se sont vidés, soit parce que les patients ne veulent pas courir le risque d’être contaminés, soit parce que les hôpitaux ont reporté de nombreux soins pour faire la place aux malades du Covid-19. Le personnel médical de ces établissements a souvent dû accepter des coupes de salaires. Même chez un géant des équipements radiologiques comme Boston Scientific, les 17 000 employés ont accepté une minoration de 20 % et une réduction du travail à 4 jours par semaine.

Les fonctionnaires des collectivités américaines ne sont pas épargnés. L’effondrement des recettes fiscales des villes, comtés et États déclenchent des coupures immédiates de budget. La ville de Los Angeles a demandé à ses employés de prendre 26 jours de congés sans solde. Le comté de Hamilton, dans l’Ohio, siège de la métropole de Cincinnati, demande par exemple à ses employés d’accepter des baisses de salaires de 10 %. De nombreux États comptent sur des aides massives de l’État fédéral dans les prochaines semaines pour éviter de licencier des fonctionnaires, notamment dans les écoles.

Chet sings. Like his trumpet

On offre ici une de mes chansons préférées, chantée par mille voix de Jazz. It Could Happen To You

Celle de Chet Baker, lequel, comme beaucoup le savent se considérait autant chanteur que trompettiste est remarquable, dans sa partie “impro-chant”. On ne sait plus en écoutant si on préfère sa trompette à sa voix, tant elles sont jumelles et accordées. Attendez patiemment son improvisation à la voix et vous allez comprendre ce qu’est une oreille et la musique dans le coeur.

Un vrai bonheur. Ecoutez, vous avez de la chance. L’impro au chant commence à la minute 1:21

Chet Baker. It could happen to me; (The legendary Riverside albums). Impro à 1:21

Le morceau est tiré de la dernière parution des disques de Chet BakerThe Legendary Riverside Albums, paru à l’automne 2019.

COPIE/ COLLE DU COMMENTAIRE DE QOBUZ (la meilleure application musique en streaming, haute résolution, qu’il faut soutenir en s’abonnant et en achetant des disques digitaux en HiRes) SUR L’ALBUM. En 1954, Chet Baker est élu trompettiste de l’année par la presse jazz américaine. Dans son autobiographie, Miles Davis écrira : « Je crois qu’il savait qu’il ne le méritait pas plus que Dizzy ou beaucoup d’autres… Mais il savait aussi bien que moi qu’il m’avait beaucoup copié. » Quoi que Miles ait pu dire ou écrire, le nom de Chet Baker est bien sur toutes les lèvres au milieu de cette décennie 50. Installé à Los Angeles, le musicien à la gueule d’ange a imposé son style aux côtés des plus grands, jouant notamment avec Charlie Parker, Gerry Mulligan et Russ Freeman. En 1958, il signe un contrat de quatre albums avec Riverside, label new-yorkais fasciné par ce son cool de la côte ouest dont il est alors l’un des artisans. Le coffret The Legendary Riverside Albums, paru à l’automne 2019, zoome sur ces sessions essentielles, montrant un musicien plus versatile qu’il n’y paraît, magnifiant le style cool de Californie mais capable aussi de croiser le fer avec les maîtres du hard bop de la côte est. En plus de ces quatre albums remastérisés en Hi-Res 24-Bit, il réunit sur un cinquième disque de nombreuses prises alternatives de ces sessions.

Premier de ces quatre albums, publié en octobre 1958, (Chet Baker Sings) It Could Happen to You souligne l’originalité de sa démarche qui dépoussière à sa manière des standards comme How Long Has This Been Going On ? ou Old Devil Moon. Contrairement à son associé Bill Grauer, le producteur Orrin Keepnews fut d’abord réticent à accueillir Chet Baker sur son label, et ne produira donc pas ce premier disque. Encadré par Kenny Drew au piano, George Morrow et Sam Jones à la contrebasse et Philly Joe Jones et Dannie Richmond à la batterie, le chant de Chet épatera pourtant Keepnews. Comme le prolongement de son instrument, Chet Baker innove face aux canons vocaux de l’époque. Un style bien à lui qui confirme sa singularité et confirme son statut…

Un mois plus tard, il retourne en studio pour préparer Chet Baker in New York, qui paraîtra en 1959 avec Johnny Griffin au saxophone, Al Haig au piano et Paul Chambers à la contrebasse. Le niveau monte d’un cran et chaque sideman s’applique à dérouler des solos sobres et d’une rare justesse sur des ballades langoureuses comme Polka Dots and Moonbeams ou des thèmes nettement plus uptempo comme le pétillant Hotel 49. Sans doute le plus impressionnant du lot, l’album Chet, enregistré le 30 décembre 1958 et le 19 janvier 1959, réunit cette fois le pianiste Bill Evans, le guitariste Kenny Burrell, le flûtiste Herbie Mann et le saxophoniste Pepper Adams. Le son de Chet atteint un zénith de langueur et son jeu incorpore comme jamais l’espace, donnant une sensation impressionniste inédite. Les phrases merveilleuses d’Evans font corps avec celles de Chet. Dès les premières secondes d’Alone Together, qui ouvre ce chef-d’œuvre à la pochette sublime (Chet avec la mannequin Rosemary “Wally” Coover, photographié par Melvin Sokolsky), ce décor aussi sensuel qu’épuré impose sa modernité. Enregistré en juillet de cette même année 1959, Chet Baker Plays the Best of Lerner & Loewe boucle cette parenthèse Riverside avec des reprises tubes concoctés pour Broadway par le parolier Alan Jay Lerner et le compositeur Frederick Loewe pour des comédies musicales comme My Fair Lady, Gigi, Brigadoon et Paint Your Wagon. Bill Evans, Pepper Adams et Herbie Mann sont à nouveau là, rejoints par le saxophoniste Zoot Sims. Là encore, avec un répertoire très typé, Chet Baker réalise un tour de passe-passe esthétique d’une classe folle, des relectures filtrées par la mélancolie de son phrasé. © Marc Zisman/Qobuz

digital is the message

Le titre sera, immédiatement, compris par ceux qui ont lu, il y a fort longtemps Marshall Mac Luhan et sa locution qui faisait tourner, dans les innombrables tentatives d’interprétation, les ronéos de thèse de sociologie. “The médium is the message”.

C’est son invention : « Le média est le message », le support de communication est le message lui-même, le vrai. Ce que le média charrie, son contenu est secondaire dans le révolution. Ce qui importe c’est le “médium”, le canal de transmission, pour le dire clairement.

Extrait wiki :”En énonçant l’idée que le média est le message, il affirme entre autres que l’important est la forme prise par le média (l’effet de la technologie), ainsi que sa combinaison avec le message. Selon lui, les exemples se multiplieront naturellement à l’âge électronique et ces structures se révéleront d’elles-mêmes. Cet impact du média, qui prime sur le contenu du message lui-même, explique, selon le théoricien, que les innovations technologiques, en engendrant des modifications du dispositif sensoriel et intellectuel de l’homme, aient bouleversé les civilisations.

Je colle un extrait audio Youtube, pas trop mal dit (l’accent de l’explicateur est intéressant)

LE LIEN 4mn d’écoute

En réalité, si les souvenirs de mes dizaines de pages écrites sur le sujet, inutiles puisque perdues m’ont rattrapé, c’est parce que j’ai lu aujourd’hui un entretien assez intéressant sur le sujet. Mais curieusement, le penseur ne cite pas Mac Luhan qu’il ne connait peut-être pas, ce qui n’a aucune importance.

Il s’agit d’Alessandro Barrico, un homme intelligent qui réfléchit

Je donne ci-dessous l’entretien et reviens plus bas.

« Séparer la réalité virtuelle de la réalité physique n’a plus de sens »

CLAIRE CHARTIER

EST-CE SON TEMPÉRAMENT LATIN ou sa personnalité baroque ? Essayiste, romancier, homme de théâtre, Alessandro Baricco explique mieux que personne ce que la révolution digitale, avec ses ramifications en étoile, est à notre monde d’aujourd’hui. Dans The Game (2018, sorti l’an dernier en France chez Gallimard), il se livrait à une archéologie époustouflante des origines du Web, creusant la portée anthropologique d’une mutation venue depuis lors adoucir notre quotidien collé aux murs par le coronavirus. Télétravail, apéros ou cours de yoga en ligne… Nos nouvelles moeurs confirment les analyses de ce sexagénaire turinois qui, avec ou sans smartphone, attend comme nous tous le retour de la vie sans sauf-conduit.

Le confinement a-t-il accéléré notre conversion à la civilisation digitale ?

Alessandro Baricco J’en suis convaincu. La pandémie a levé une résistance psychologique. Beaucoup pensaient que les technologies numériques avaient fait advenir une seconde réalité, virtuelle, qui menaçait celle du monde physique à laquelle nous sommes habitués. Le Covid-19 nous prouve le contraire. Confinés, sans notre lot habituel de relations sociales, nous nous rendons compte combien nos rapports physiques, humains, restaient nombreux en dépit de ces technologies censées aspirer l’intégralité de nos sentiments. Et combien les outils numériques viennent enrichir notre réalité première.

Qu’est-ce qui, de cette révolution technologique et surtout mentale, nous échappe encore ?

Nous persistons à tracer une ligne de démarcation entre le réel physique et le réel virtuel, alors qu’un tel partage n’a plus de sens. Le génie du digital, c’est d’avoir créé une seule réalité avec deux forces motrices, qui se répondent grâce à la mise en communication des réseaux via le Web. C’est lui qui offre la possibilité de rebondir sans cesse entre notre monde et celui du numérique. Nous vivons avec le Net, où nous laissons des fragments de nous-mêmes, où nous exprimons nos émotions, où nous pensons et où nous emmagasinons sans cesse de l’expérience, qui nous sert en retour dans le réel. Depuis l’apparition du smartphone, notre logo est le triptyque homme-clavier-écran. Le smartphone, extension de nous-mêmes, n’est pas comparable à l’ordinateur, qui n’est qu’une médiation entre l’homme et les choses. Cette matière-là est évidemment complexe à saisir. Les gens de ma génération ont tendance à vivre le numérique comme une sorte de projection un peu artificielle. Un enfant d’aujourd’hui, lui, évolue dans ce système sans jamais se poser la question du réel et du virtuel. De la même manière, se demander si cet entretien que nous sommes en train de réaliser par Skype vous et moi s’inscrit dans la réalité n’a pas de sens. L’important, ce sont les idées que nous échangeons.

Le confinement et la mise à l’arrêt des économies illustrentils ce que vous appelez le « monde d’hier », celui des barrières, de la pensée fermée, par contraste avec le monde du « Game », aux cartographies infinies ?

L’une des caractéristiques premières de la réalité digitale, c’est que le monde entier – sons, images, informations, mots, personnes – devient plus léger. Les données ne pèsent rien. On peut donc faire évoluer ces contenus, et évoluer soi-même à l’intérieur, avec une facilité déconcertante et pour un prix modique. Le Web est comparable à un texte en forme de toile d’araignée. Il n’a ni haut ni bas, il est possible de l’examiner avec toutes sortes de points de vue –, et il n’a ni début ni fin. C’est une véritable révolution mentale. Pendant des siècles, notre civilisation est restée verticale : elle disposait les éléments de haut en bas, en partant du superficiel pour aller vers la profondeur. Le noyau de l’expérience ne semblait accessible que par l’effort et avec l’aide d’un intermédiaire. Contrairement à ce que l’on croit, l’insurrection numérique n’a pas détruit ce noyau, elle l’a ramené à la surface du monde en faisant coïncider l’apparence et l’essence. Là où il n’existait qu’une seule table de jeu pour une infinité de joueurs, il y a maintenant, pour chaque joueur, une infinité de tables de jeu.

Quelles sont les conséquences de cette mutation, dans un moment de crise sanitaire comme celui que nous vivons ?

Aujourd’hui, en Italie, mais aussi en France, visiblement, ceux qui gèrent la situation appartiennent à l’élite intellectuelle dépassée, celle du XXe siècle. Leurs techniques pour faire la « guerre » au coronavirus répondent à une logique datant de la Première Guerre mondiale : donnons-nous quinze jours pour prendre telle mesure. Et puis encore quinze jours pour ajuster, etc. Si le même virus avait été abordé dans l’esprit digital, les autorités auraient réagi dès les premiers signaux, comme l’aurait fait un gamer – figure clef de cette révolution mentale –, qui est capable de gérer une énorme quantité d’informations en un temps record, et de s’adapter dans l’instant. Le gamer sait bien que s’il veut voir l’ennemi, il doit bouger constamment pour multiplier les points de vue. Les comités de crise des gouvernements auraient dû inclure des mathématiciens, des statisticiens, des psychologues, des philosophes…

La pandémie ravive le besoin de frontières et de contrôle. Y voyez-vous la résistance du « vieux monde » du XXe siècle ?

Oui, et je trouve cela surprenant. On a tendance à croire que les machines numériques sont tombées du ciel, envoyées par un dieu vengeur ou par le Satan capitaliste. Au contraire, ce sont nous, les humains – et plus particulièrement les pères de la révolution numérique, les Tim Berners-Lee [l’inventeur du Web] ou Steve Jobs –, qui les avons créées et fabriquées, pour laisser loin derrière nous un siècle particulièrement atroce. Ces pionniers – des ingénieurs, pas des philosophes – fuyaient une civilisation fondée sur le mythe du cloisonnement et de la permanence : celle des frontières, des catégories de pensée – le beau, le vrai, etc. Leur premier objectif a été celui du mouvement : ils ont conçu des outils technologiques capables de fluidifier, de faire sauter les barrières et les intermédiaires. Cette mutation est un pas énorme, comparable au passage de l’Ancien Régime à l’âge des Lumières. Malheureusement, certains, faute d’avoir été accompagnés, sont restés en dehors du « Game ». Parmi eux, il y a ceux qui ont perdu leur statut et leur raison d’être – exemple : la droguerie face à Amazon ; il y a aussi les opportunistes, sans vrai projet d’avenir, et ceux qui demeurent attachés à la civilisation romantique.

Qu’entendez-vous par là ?

Ils avancent avec pour objectif de reproduire une copie améliorée d’un passé auquel ils sont affectivement attachés, et en croyant pouvoir éviter de reproduire les erreurs de leurs prédécesseurs. Pour moi, le retour du nationalisme répond à cette vision-là. Ses partisans assurent qu’il ne ramènera pas la guerre, car nos sociétés auraient retenu les leçons du XXe siècle. Cette évocation de l’identité nationale, de la tradition et de la religion est une position compréhensible. La lutte mondiale contre le coronavirus aidera-t-elle les humains à se penser comme une seule communauté de destin ? Impossible à dire. La défense de l’environnement soulève exactement la même question.

Le numérique permet aussi une surveillance étroite des individus, comme l’illustre le débat sur les applications de traçage destinées à endiguer la pandémie. Votre lecture de la révolution digitale n’est-elle pas excessivement irénique ?

La menace du contrôle social doit être prise très au sérieux, mais la liberté est une chose ; l’intimité – la privacy comme disent les Anglo-Saxons – en est une autre. Dans la civilisation numérique, celle-ci n’a pas de valeur. Lorsque vous n’avez qu’une maison abritant tout ce que vous possédez, il est dramatique que quelqu’un se permette de rentrer chez vous. Mais, dans un jeu avec cinq, six maisons différentes, une telle intrusion n’a plus du tout la même importance. En revanche, si l’intrus vous fait chanter après avoir dérobé certains de vos effets personnels, là, c’est votre liberté qui est en jeu. Or, je vais vous paraître très irénique en effet, je ne vois pas en quoi les menaces pesant aujourd’hui sur les libertés sont plus terribles que celles du passé. Prenez la liberté d’information. Quand j’étais gamin, en Italie, dans les années 1960, il n’y avait qu’un seul quotidien, une seule chaîne de télévision, sur laquelle on évoquait une très lointaine guerre du Vietnam. J’ai dû attendre d’avoir 30 ans pour découvrir que les Viêt-cong n’étaient pas les méchants de l’histoire. Notre système offre bien plus de chances de devenir un citoyen averti qu’il y a un demi-siècle. Le vrai danger, à mes yeux, c’est le numérique d’Etat. Le digital contrôlé par un pouvoir autoritaire me paraît beaucoup plus problématique que la puissance acquise ces dernières années par les Gafam. Au moins, chacun a le choix d’aller chez Google ou Facebook. S’agissant de ces applications anti-Covid-19, je pense qu’on peut parfaitement les adopter à condition de maintenir une vigilance collective. Il faut pouvoir tout connaître de leur fonctionnement, des données qu’elles mémorisent. Et pour cela, l’Etat doit ouvrir le code de l’application à la société civile.

Vous le notez vous-même : le digital, en « augmentant » l’humanité, a aussi hypertrophié l’ego des individus, au risque de les faire tourner à vide. Que faire ?

Nous sommes, c’est vrai, assez démunis face à l’individualisme de masse inédit né de la révolution numérique, dont les partis politiques classiques vont d’ailleurs devoir saisir la logique s’ils ne veulent pas disparaître. Il est sûr aussi que penser rapidement est parfois devenu plus important que penser en profondeur. Mais le numérique n’a pas inventé la superficialité. A l’époque romantique, il suffisait d’aller à l’Opéra pour se donner un vernis de mélomane. Dans la nouvelle élite du « Game » – celle qui sait faire réagir ensemble tous les éléments dispersés du jeu et se servir des machines comme de prothèses –, il y a des gens pathétiques. Mais il y a aussi des intelligences prophétiques qui sauront nous faire progresser.

« Nous vivons avec le Net, où nous laissons des fragments de nous-mêmes, où nous exprimons nos émotions, où nous pensons et où nous emmagasinons sans cesse de l’expérience, qui nous sert en retour dans le réel. »

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Bon, me revoilà. Quand vous lisez, vous saluez l’intelligence de Barrico. Il l’est. Mais la seule question qu’on peut se poser est celle de savoir si, en sortant de la lecture, on a avancé (c’est la seule question qu’on se pose en posant un livre ou une tablette).

Un peu, pas énormément. Mac Luhan nous avait fait bondir d’un siècle.

On relit ensemble, en notant tout d’abord que le terme de “digital” devient un fourre-tout, dans lequel tous, philosophes, joueurs, entrepreneurs, “acteurs” des révolutions, mettent ce qu’ils veulent bien y mettre pour construire son pré-carré. Il faudra un jour sérier, comparer, différencier et ne pas s’embourber dans le mot magique qui sonne comme l’étoile d’une rédemption dans la modernité.

a) d’abord le fossé générationnel (la sorte de naturalité du du digital chez le gamin et moins chez nous, plus vieux, qui le considérons comme “artificiel” : OK. Mais, si l’on employait d’autres mots, moins marqués sociologiquement, ça n’apporte rien. On sait et c’est une donnée qu’on devrait abandonner dans la réflexion. Historique ou comparative mais non efficiente.

b) Les réflexions sur la prétendue “liberté” violée par le numérique et le traçage : il a raison Barrico : notre liberté était moins grande “avant” (justement par l’absence du digital qui nous charrie l’information et, partant, la faculté de comprendre (l’essence de la liberté qui est celle de pouvoir tenter de penser librement, en choisissant, même si c’est les spinozistes vous diront que c’est un leurre, la seule liberte étant celle s-de savoir qu’elle n’existe pas. Mais c’est toujours bon à prendre..

Cependant, rien de transcendant. Juste une intelligence du propos qui n’est pas l’intelligence d’une pensée nouvelle

c) le relativisme du passé et du présent, y compris dans les individus : il y aurait dit-il autant de gens “pathétiques” maintenant qu’avant. Soit, mais c’est presque une lapalissade. Et ce qui est important c’est l’analyse du “média” digital”, pas des personnes qui l’utilisent. L’homme de théâtre qu’est Barrico pointe son nez pour revenir aux personnages, ce qui n’est pas intéressant.

Il me faut conclure : j’aime bien les gens qui réfléchissent et tentent de construire les locutions qui peuvent nous faire avancer. Ca s’appelle de la théorie (comme celle que fabriquait Mac Luhan). Mais il ne faut pas absorber des articles sérieux, y compris confidentiels dans leur diffusion, des livres, dans des entretiens brillants qui frôlent le sujet sans le pénétrer.

Bourdieu avait raison, juste sur un point : la pensée journalistique ou celle qui se donne, en faisant l’impasse de l’étude et de la théorisation, cette pensée de revue hebdomadaire ne peut se substituer à la pensée (théorique encore une fois, la seule qui d’éloigne du personnage et de la narration redondante de la réalité, m^me si elle emprunte un langage vénéré par les rédac’chef).

Cela étant, un entretien, un article, quand il nous donne à dire et à critiquer a rempli son office.

Deux femmes

Cafeteria, Museo del Prado, Madrid
Arles, boutique, Place des arènes

Deux femmes. L’une qui nous a subjugué par son sourire et sa joie simple. L’autre, dont on est tombé amoureux, au moins quelques heures après le déclenchement. Peut-être même plus longtemps. Les inconnues peuvent peupler un monde. Sauf qu’il ne faut jamais enlacer le fugace. L’éther s’évapore.

télévéto

Sciences et Avenir avec AFP

On livre une info qu’on ne veut commenter. La téléconsultation pour les animaux.

En France, les vétérinaires se mettent à la téléconsultation

EXTRAIT DE Sciences et Avenir

Un décret paru au Journal officiel offre un cadre légal à la téléconsultation par des vétérinaires. Ce dispositif, testé pendant 18 mois, devrait notamment permettre de lutter contre les déserts vétérinaires en zones rurales.

Les animaux malades peuvent désormais être suivis par leur vétérinaire par le biais de la téléconsultation, selon un décret paru le 6 mai au Journal officiel, une possibilité envisagée depuis 2016 par les soignants et dont la mise en place a été accélérée par l’épidémie de coronavirus.

C’est un sujet qui mûrit doucement depuis 2016. Le conseil national de l’ordre avait, à l’époque, demandé un avis à l’académie vétérinaire de France, sur la possibilité de mettre en place un dispositif similaire à ce qui existait en médecine humaine“, explique à l’AFP Jacques Guérin, président du conseil national de l’ordre des vétérinaires. “L’urgence sanitaire actuelle a relancé l’idée d’accélérer le mouvement. Courant mars, j’avais écrit au ministre de l’Agriculture pour lui demander que la profession vétérinaire puisse, dans un temps plus contraint, recourir à cette forme d’exercice complémentaire qu’est la télémédecine vétérinaire“, indique M. Guérin.

Le choix de l’acte de télémédecine ne devra pas compromettre le pronostic médical de l’animal

Le dispositif, mis en place à titre expérimental pour 18 mois, “permettra aux vétérinaires situés notamment en zone rurale d’assurer un suivi rapproché des animaux en évitant certains déplacements“, a indiqué le ministère de l’Agriculture, dans un communiqué. “La mise en place de la télémédecine relève de la seule responsabilité du vétérinaire, qui doit s’assurer que l’acte de télémédecine ne compromet pas le pronostic médical de l’animal“, est-il précisé dans le décret. Et “les médicaments contenant des substances antibiotiques d’importance critique (..) ne peuvent être prescrits lors d’un acte de télémédecine“.

L’un des objectifs est “de diminuer les contacts inter-personnels dans la journée, de diminuer les déplacements (…) en ne faisant que les actes essentiels, urgents, ceux qui consistent à soigner un animal malade“, insiste M. Guérin. Il prend l’exemple d’un vétérinaire appelé au chevet d’un cheval qui s’est blessé à un antérieur : “Ce qui est indispensable, c’est que le vétérinaire se déplace auprès du cheval et pare la plaie, la désinfecte, éventuellement la suture“, explique M. Guérin, vétérinaire dans le Morbihan. “Jusqu’ici, il venait tous les jours vérifier comment la plaie évoluait. Avec la télémédecine, il va pouvoir disposer d’informations, notamment par l’image“, qui vont lui permettre de dire si la plaie évolue bien ou mal, et s’il est nécessaire de se déplacer.

La télémédecine pour lutter contre les déserts vétérinaires dans les zones rurales

Autre objectif de cette téléconsultation, lutter contre les conséquences des déserts vétérinaires, qui touchent certaines régions rurales au même titre que les déserts médicaux. “Quand vous avez un vétérinaire dans une zone de désertification médicale qui, pour se rendre au chevet de l’animal, doit faire une heure de route, il peut être utile de savoir si ce déplacement est nécessaire ou pas“, a dit M. Guérin à l’AFP. Outre la possibilité de mettre en place la téléconsultation, le décret sécurise d’autres pratiques de télémédecine qui se développaient, en leur apportant un cadre réglementaire. Comme la télésurveillance, qui permet à un vétérinaire de suivre à distance, via des outils dotés de capteurs, l’évolution de l’état sanitaire d’un élevage. Un rapport d’évaluation de cette expérimentation sera produit fin 2021, pour en tirer les enseignements nécessaires avec les professions vétérinaires et agricoles, a indiqué le ministère.

Gauchet, faut lire.

L’entretien de Marcel Gauchet, pourtant pas mon penseur préféré, est assez décapant. Serait-ce que la réalité happe le philosophe ? Work in progress.

On a peut-être un petit souci sur le “Et maintenant, voilà cet événement assez extraordinaire qu’a été la mise à l’arrêt de l’activité économique pour préserver la santé d’un petit nombre, finalement, à l’échelle de la population globale du pays, et, pour le principal, des plus vieux…” C’est d’ailleurs la une de l’Express…

Mais il ne faut jamais s’offusquer devant ce qui offusque. Et d’abord réfléchir. Le “point de vue” n’existe pas. Il n’y a que la réalité, encore. Il a peut-être raison sur les vieux. Mais pas sûr. Comme on n’a pas envie ce soir de débattre, on passe….

Je le colle ci-dessous :

Marcel Gauchet : “La vérité de cette crise, c’est le déclassement français”

Propos recueillis par Anne Rosencher

Déploiement de nos démagogies favorites, judiciarisation à outrance, hypertrophie de la com’ et dialogues de sourds sur la mondialisation… Le philosophe fait le point.

L’Express : La France semble aller au déconfinement “à reculons” : grogne de syndicats, lettre des patrons des transports au Premier ministre, mistigri administratif… De quoi est-ce le symptôme selon vous?

Marcel Gauchet : Cela pourrait se résumer en une phrase : il est très difficile de sortir du gouvernement de la peur. Depuis le début de la crise, l‘exécutif a joué de ce ressort, faire peur aux gens, pour obtenir la discipline, à défaut d’être capable de proposer une attitude individuelle responsable en l’absence de masques et de tests. Ajoutons que les médias ont joué un rôle de renforcement anxiogène. Ils étaient dans leur élément : une cause sensationnelle, émotionnelle et consensuelle… La voie royale ! Ils s’y sont engouffrés, avec un martèlement de chiffres absolus donnant l’impression d’une immense catastrophe en cours, sans fournir les éléments de proportion qui auraient permis de relativiser les choses. Résultat, les gens ont peur, et de façon souvent irrationnelle.

Les parents ont peur pour leurs enfants, alors qu’on sait que ceux-ci ne sont quasiment pas touchés, sauf complications très rares. Les enseignants ont peur, alors qu’on sait que les jeunes actifs, dans leur immense majorité, ont très peu de chance de mourir du Covid-19. Sortir de l’angoisse collective n’est pas chose aisée, d’autant plus que cette crise a amplifié les symptômes d’un mal français qui vient de loin : tous nos démons, un moment mis en sourdine, resurgissent avec vigueur et rendent ce déconfinement plus que compliqué.

Quels sont-ils, ces démons?

Un premier facteur : les Français n’ont plus confiance dans le gouvernement. Dans l’ordinaire des jours, cela n’a pas d’effet concret quotidien. Il y a un gouvernement, une administration et un Etat qui font tourner la boutique. Nous ne voyons que leur rôle fonctionnel. Mais dans les moments de crise, on s’aperçoit que leur mission est en réalité beaucoup plus profonde : ils jouent un rôle de sécurisation par la prévisibilité. Il faudrait faire confiance au gouvernement pour qu’il nous mène vers une issue dans l’ordre et le calme. Or là, la confiance n’est pas au rendez-vous, et la peur s’en trouve aggravée. C’est l’une des grosses différences avec la situation allemande. Manifestement, outre-Rhin, la confiance dans l’autorité – depuis celle des Länder jusqu’à Angela Merkel -, permet de sortir de la crise d’une manière beaucoup plus apaisée.

Deuxième facteur : les démagogies françaises trouvent dans la situation un terrain idéal pour se déployer. D’un côté, il y a la démagogie des libertés, qui voit des attentats aux libertés partout. Jusqu’à interdire aux entreprises de tester leurs employés, contre tout bon sens ! De l’autre côté, il y a la démagogie de la dépense publique, supposée pouvoir tout financer. En forçant le trait, cela donne le nouveau programme de la gauche radicale : “le salaire à vie, sans travail, pour tout le monde”.

Et puis, dernier facteur du malaise, on voit se dessiner en filigrane une opposition entre deux France, celle des gens qui ont peur pour leur emploi – souvent d’ailleurs, peur que cet emploi disparaisse avec leur propre entreprise ; et la France des gens qui savent qu’ils seront payés de toute façon à la fin du mois et pour lesquels rien ne presse. Ne caricaturons pas : il y a bien sûr dans cette seconde catégorie des personnes d’un sentiment différent, mues par le souci civique du sort collectif. Mais il faut bien constater que ce souci n’est pas partagé par tout le monde et que l’argument de “sauver des vies” fournit un alibi commode. Mettez tous ces éléments bout à bout et vous obtenez un climat délétère qui va peser lourd dans l’organisation de l’après-crise.

Ce déconfinement “à reculons” s’explique-t-il aussi par la peur du procès à tous les étages?

Bien sûr, cette peur-là ajoute à l’anxiété générale et représente un facteur de paralysie majeur. La judiciarisation est un épouvantail pour tous les responsables, y compris aux plus petits niveaux, chez les patrons de TPE ou les maires de petites communes. De ce point de vue, je trouve que le Sénat a pris une excellente initiative en renforçant la protection des maires – en première ligne de ce déconfinement – contre les poursuites qui s’annoncent. Car les professionnels du “victimisme” sont déjà sur le coup. Mais encore faut-il que cette disposition aboutisse, car de façon incompréhensible, le gouvernement s’y est jusqu’à maintenant opposé !

La judiciarisation est un autre facteur de pourrissement du climat public français. Elle a fourni à une société vindicative un instrument de contestation indéfini de toute autorité publique par les individus. Compte tenu de la vitesse de la justice en France, nous voilà peut-être partis pour des années de contentieux inextricables. Je crois que tous les contributeurs actifs à l’esprit public dans ce pays seraient bien inspirés d’appeler à se débarrasser une bonne fois de cette ambiance procédurière avant qu’elle ne tourne à la paranoïa collective. C’est fondamental si l’on veut conjurer la menace qui pointe : la société de défiance mutuelle institutionnalisée. “Accusez-vous les uns les autres” et “à chacun son avocat” ne sont pas les formules d’un contrat social vivable.

Beaucoup pensent, néanmoins, que l’absence de procès organiserait l’impunité des politiques et des hauts fonctionnaires…

Ils ont tort ! Il faut cesser de confondre responsabilité politique et faute pénale. D’abord, dans le cas des hauts fonctionnaires, le problème est celui des moeurs d’un milieu qui protège ses membres. Le fait que ceux qui sont pris en flagrant délit de malfaisance ne sont généralement pas sanctionnés mais promus, relève d’une forme de corruption qu’on peut combattre. Car un fonctionnaire, par définition, est sanctionnable et révocable. Et ceux qui se livrent à des infractions pénales sont susceptibles de poursuites comme n’importe quel citoyen. Il n’y a pas d’impunité. On parle de deux choses différentes.

S’agissant d’erreur d’appréciation dans l’exercice de leur fonction, les responsables politiques sont jugés par le suffrage. Ce n’est pas à un magistrat d’estimer si un gouvernant a bien ou mal jugé d’une situation ; c’est aux électeurs d’en tenir compte. Au fond, la société française s’est installée dans un système pervers : au nom de la croyance bien ou mal fondée que les responsables publics bénéficient de l’impunité, on estime avoir le droit de se rattraper sur un plan judiciaire. Mais le remède est pire que le mal.

Dans la période, “l’envie du pénal” – pour reprendre l’expression de Philippe Muray – doit beaucoup aux mensonges répétés sur la nécessité des masques et les tests. Comment expliquez-vous cette faute-là?

Pour moi, c’est l’empreinte du vieux monde sur le faux nouveau monde que Macron voulait incarner. C’est-à-dire la perpétuation d’une démarche de communication politique éculée, datant de l’époque où la population n’était pas aussi informée sur ce qui se passait dans les “hautes sphères” et où, par principe, les pouvoirs voulaient avoir l’air de maîtriser de la situation en se pliant à la maxime : “Celui qui commande est infaillible.” Cela ne marche plus ! Je ne comprends pas que des gens intelligents aient pu recourir à pareille recette – “ces masques ne servent à rien, nous savons très bien ce que nous faisons” -, c’est-à-dire au mensonge, un mensonge qui en entraîne d’autres pour éviter de se contredire grossièrement.

Emmanuel Macron a raté l’occasion d’incarner la nouvelle politique qu’il avait promise en partant d’un état des lieux sans fard, d’un constat franc du manque de moyens à la disposition du gouvernement. Je le comprends d’autant moins que ce constat épargnait en grande partie l’exécutif en place puisqu’il héritait d’une situation dont il n’était que très peu responsable. Je crois, hélas, que l’inertie des recettes de communicants politiques enkystés dans cette vieille philosophie du “n’avoue jamais”, a joué à plein.

Des rumeurs de nouveau gouvernement d’union nationale ont circulé. Est-ce chose envisageable dans notre pays?

Sur ce point, il faut distinguer la forme du fond. Concernant la forme, il est toujours possible de rassembler un attelage de vieux chevaux de retour, qui donne à peu de frais l’impression qu’on transcende les clivages traditionnels. Mais du point de vue du fond, l’opération me semble très problématique. Pour une première raison qui est que le macronisme en est venu à représenter le pouvoir le plus clivant qu’il y ait eu en France dans la dernière période. Cela semble aujourd’hui une éternité, mais souvenez-vous qu’avant que le virus ne balaye tout, nous étions dans une ambiance de guerre civile froide, post-gilets jaunes et post-conflit sur les retraites.

Par ailleurs, pour qu’il y ait une union nationale, il faut qu’il y ait un consensus sur le diagnostic. Aux lendemains des deux guerres mondiales, l’évidente nécessité du redressement collectif transcendait les désaccords que les uns et les autres pouvaient avoir. Mais aujourd’hui, le diagnostic sur le déclassement français – qui est la vérité objective de cette crise – est très peu acquis dans l’esprit de la population. Pour l’instant, je ne vois pas quel motif serait assez puissant pour qu’elle s’impose. En revanche, il est possible – cela fait partie des imprévisibles de l’histoire – que la violence et la gravité de la crise économique qui vient imposent un diagnostic commun. Ce dernier justifierait alors un vrai rassemblement des énergies autour de l’objectif d’un redressement national. Mais nous n’y sommes pas.

Emmanuel Macron peut-il se sortir de l’ornière dans laquelle il est aujourd’hui?

La tâche s’annonce difficile. Sa seule possibilité, me semble-t-il, serait de renouer avec l’esprit de son élection, en 2017. Il l’a un peu retrouvé dans le “grand débat” postérieur à la crise des gilets jaunes. Certes, ce grand débat laisse un bilan très mitigé, pour avoir beaucoup trop tourné au one man show obsessionnel… Mais, incontestablement le président a eu des mots, des comportements, des accents qui l’ont relégitimé dans son rôle et qui correspondaient très exactement à ce qu’il avait fait miroiter dans sa brillante campagne de 2017.

Il pourrait le retrouver par un effort de mise à plat méthodique de la situation : un bilan complet, clair, transparent, sans interférences politiciennes de ce qu’il s’est passé et de la situation dans laquelle nous nous sommes trouvés. Il n’y a qu’une telle opération vérité qui pourrait faire oublier les cafouillages sans gloire de cette crise et lui redonner la crédibilité qui lui fait aujourd’hui défaut. Au-delà de son cas particulier, cette exigence de vérité est le point clef, au reste, de l’apaisement des fractures françaises.

Vous dites que le diagnostic commun qu’il conviendrait de faire émerger est celui du “déclassement de la France”. Notre pays va-t-il sortir de la crise en ayant descendu d’une marche?

Oui. L’amour de nos élites dirigeantes pour la comparaison avec l’Allemagne, si on la poursuit honnêtement, ne va pas être à notre avantage, sur aucun plan. Les décalages sont vertigineux. Une donnée simple résume tout : un chômeur à temps partiel sur trois en Europe est français. Cela fournit une indication impressionnante sur la vulnérabilité économique du pays, à côté de bien d’autres données. Nous étions jusque-là à la charnière entre les pays du nord de l’Europe, autour de l’Allemagne, et les pays du Sud méditerranéen, Italie, Espagne, etc..

Au sortir de cette crise, nous aurons basculé “pour de bon” dans le camp des pays du Sud. Cela aura des conséquences européennes très importantes, à commencer par la crédibilité de nos prétentions à changer l’orientation politique de l’Union… Comment cette situation va-t-elle pénétrer dans les esprits et se traduire dans le moral des Français, dont on sait qu’il était déjà très pessimiste, voire dépressif ? C’est l’inconnue majeure des années à venir...

Se prépare-t-on demain à un grand ressentiment générationnel : les moins de 60 ans vont-ils considérer qu’on a obéré leur avenir dans l’affaire?

La fracture générationnelle est une nouvelle fracture à laquelle on n’a pas prêté assez d’attention et dont on peut craindre qu’elle aille en s’accentuant dans la durée. On l’a vue surgir avec le slogan “Ok Boomer” sur les sujets écologiques, ou encore, en France, lors du mouvement de protestation contre la réforme des retraites. La jeunesse en a été largement absente, persuadée que de toute façon, à l’horizon 2060-2070, il ne serait plus question de retraites pour elle, faute de moyens. Et maintenant, voilà cet événement assez extraordinaire qu’a été la mise à l’arrêt de l’activité économique pour préserver la santé d’un petit nombre, finalement, à l’échelle de la population globale du pays, et, pour le principal, des plus vieux…

Il ne va pas rester sans conséquences en profondeur. Pour le moment, on en reste au stade du constat, mais il est imprimé dans la conscience des jeunes générations. L’issue de la crise se jugera en partie là-dessus : a-t-on sacrifié le destin des jeunes, et en particulier des entrants sur le marché du travail, à la survie des vieux, pour le dire brutalement ?

Beaucoup dépendra des conditions de la reprise, mais c’est une question qui va durablement tarauder la société. Ce sera dans l’ambivalence, car les “jeunes” sont bien entendu pour que l’on sauve leurs parents ou leurs grands-parents ! Mais cette crise peut devenir dans l’esprit des futurs “galériens” de la crise économique le symbole d’une prise de pouvoir par les vieux à leur détriment.

La mondialisation a été tout de suite la notion en débat – sans que tout le monde, au reste, y projette la même chose. Cette épidémie la remet-elle en question selon vous?

Il faut bien dire que ce problème de la mondialisation est le lieu d’une confusion maximale ! Il y a deux choses à distinguer dans ce mot : la mondialisation comme fait et l’organisation de ce fait. La mondialisation est d’abord une nouvelle donnée pratique de la coexistence des sociétés à l’échelle du globe, dont le signe le plus tangible est l’existence des réseaux numériques. Je ne sache pas que les démondialisateurs même les plus fous aient l’intention de supprimer leur messagerie électronique, leur compte Facebook et les innombrables facilités qui vont avec ! Ils en sont de grands usagers pour leur propagande ! La mondialisation comme état de fait technique, mentalitaire et politique, ne bougera pas.

Et puis il y a la mondialisation au sens de l’organisation de cet état de fait. Et c’est là que sont les marges de manoeuvre. Par exemple : nous avons besoin des réseaux numériques, mais cela ne signifie pas que nous devons pour autant laisser le champ libre aux grandes sociétés américaines qui ont capturé cet univers technologique ! Ou encore : la politique européenne se veut d’avant-garde sur le plan écologique. Mais il est clair que, tant qu’on n’aura pas établi une taxe carbone sur les productions importées, tout ce qu’on pourra raconter sur notre “verdissement” sera de la foutaise !

Parce qu’évidemment, si nous imposons à nos producteurs des normes très élevées pour, dans le même temps, importer des produits qui n’obéissent absolument pas à ces mêmes normes et défient toute rationalité écologique dans le transport, c’est de la plaisanterie. La question qui nous est posée aujourd’hui et que cette crise ne fait qu’accélérer, c’est celle de l’organisation de la mondialisation et non de son existence. C’est à partir de la distinction des deux plans que le débat politique des années à venir prend sens.

Gary, grand.

Ai relu, dans une petite insomnie le “Gros Câlin” de Romain Gary, publié sous le pseudo d’Émile Ajar.

Pas pris une demi-ride. Faut croire que les pythons ont la peau dure.

Je livre un passage :

Ce curé a toujours été pour moi un homme de bon conseil. Il était sensible à mes égards et très touché, parce qu’il avait compris que je ne le recherchais pas pour Dieu, mais pour lui-même. Il était très susceptible là-dessus. Si j’étais curé, j’aurais moi aussi ce problème, je sentirais toujours que ce n’est pas vraiment moi qu’on aime. C’est comme ces maris dont on recherche la compagnie parce qu’ils ont une jolie femme.
L’abbé Joseph me témoignait donc une certaine sympathie au bureau de tabac en face, le Ramsès.
J’ai entendu une fois mon chef de bureau dire à un collègue : « C’est un homme avec personne dedans. » J’en ai été mortifié pendant quinze jours. Même s’il ne parlait pas de moi, le fait que je m’étais senti désemparé par cette remarque prouve qu’elle me visait : il ne faut jamais dire du mal des absents. On ne peut pas être là vraiment et à part entière ; on est en souffrance et cela mérite le respect. Je dis cela à propos, parce qu’il y a toutes sortes de mots comme « pas perdus » qui me font réfléchir. « C’est un homme avec personne dedans… » Je n’ai fait ni une ni deux, j’ai pris la photo de Gros-Câlin que je porte toujours dans mon portefeuille avec mes preuves d’existence, papiers d’identité et assurance tous-risques, et j’ai montré à mon chef de bureau qu’il y avait « quelqu’un dedans », justement, contrairement à ce qu’il disait.
— Oui, je sais, tout le monde ici en parle, fit-il. Peut-on vous demander, Cousin, pourquoi vous avez adopté un python et non une bête plus attachante ?
— Les pythons sont très attachants. Ils sont liants par nature. Ils s’enroulent.

M.

Photo Philip Lorca, un immense photographe

Environ vingt années auparavant. Dans un bar d’une petite rue du sixième arrondissement. 

L’homme est au comptoir et boit un café, entourés d’ouvriers du bâtiment, en bleu de travail recouvert de plâtre et de poussière, tous l’œil rivé sur leur bière, qui ne se parlaient pas, qui caressaient tristement leur verre.  

Le barman s’affaire, un chiffon à la main, astiquant machines et ustensiles. 

Les ouvriers, toujours muets, payent et sortent rapidement. L’un d’eux, alors qu’il atteint la porte d’entrée, heurte une femme qui entre en courant. L’ouvrier s’excuse maladroitement et la femme, essoufflée, rejoint le bar et commande un quart Vittel. Elle reste, d’un calme absolu, au comptoir et l’homme qui boit un café est étonné de cette quiétude subite, en rupture totale avec son comportement de la minute précédente. Elle boit maintenant, très lentement, son eau minérale et regarde alentour. Ses yeux se posent sur l’homme. Ils se sourient, bizarrement complices, longuement. Quelques minutes plus tard, après un manège silencieux fait de signes, de sourires et de hochements de tête, ils se retrouvent, les deux, attablés, au fond de la salle, côte à côte, sans se parler. 

L’homme rompt le silence et se présente : 

– M.P 

La femme ne répond pas et se contente de sourire, intelligemment. 

L’homme poursuit, en riant : 

– Mademoiselle, merci de m’avoir accompagné à cette table. Je n’osais l’espérer. Les rencontres entre inconnus deviennent rares en ces temps de tueurs en série. Je ne vais pas vous dire que je vous ai déjà vue quelque part, ce serait un ignoble mensonge de pêcheurs d’âmes seules. Mais pourquoi couriez-vous ainsi, en entrant ? 

La femme répondit enfin : 

–  Dites-donc, vous parlez comme dans un roman ! Moi, je m’appelle Anne-Laure. J’ai pris l’habitude de toujours entrer dans tous les lieux publics en courant. Allez savoir pourquoi ! Mon frère a une explication que je veux bien vous révéler : j’ai besoin, selon lui, qu’on me voit. Je ne supporterais pas l’anonymat des villes et l’essoufflement attirerait les regards. Il a peut-être raison. La preuve, vous m’avez vue. Vous ne m’aurez pas remarquée si je m’étais simplement, timide et discrète, glissé sur une banquette ? Mais, juré, bel homme, je vous l’assure, je ne m’assois pas, normalement, à la table de ceux qui me regardent. Dir-tes-donc, vous êtes une vraie exception ! Je me demande encore pourquoi. Pour être plus directe, je ne suis pas, comment dire, une dragueuse. Vous êtes rassurant et n’avez pas l’air d’un tueur en série. Mais sait-on jamais ? En tous cas, ne me demandez pas de vous accompagner au cinéma ou je ne sais où. Je refuserais. Je vais parler comme vous : Il me plaît simplement de boire un verre avec vous. J’ai du aimer votre sourire. 

Puis, Ils restent longtemps ensemble, parlant de choses et d’autres, surtout, après la découverte d’une passion commune pour l’art contemporain. C’est dans de grands éclats de rire qu’ils recherchent les jours où ils avaient dû se croiser dans les expositions, dans l’air des cimaises avait-il dit. Elle avait éclaté de rire.

Ils se promettent une exposition ensemble et échangent téléphones et adresses. Ils se quittent joyeux. 

MP, à cette époque, venait de terminer ses études. Il était, facilement devenu docteur ès lettres et passait son temps à écrire, « sur tout ce qui bougeait » disait-il, politique, peinture, théories philosophiques. Sa facilité d’écriture fascinait tous ses amis apprentis-écrivains, journalistes, professeurs qui n’hésitaient pas à faire appel à lui lorsque, leur imagination faisant défaut, ils craignaient le déshonneur ou pire, s’ils rendaient une page mal rédigée. 

Il habitait un studio rue Madame, en précisant toujours que le nom de la rue lui avait plu immédiatement et que, pour rien au monde, il n’aurait logé ailleurs que dans cette rue, si féminine disait-il. Ca agaçait tout le monde ces mots.

Il gagnait sa vie en proposant des services de correction littéraire aux éditeurs, revues et journaux. Et lorsqu’on lui demandait s’il comptait, bientôt, « publier » (un roman, un essai) il répondait de la même phrase, apprise par cœur : « Mes publications futures sont épuisées, comme moi ». Encore ses mots…

Mp était donc un homme brillant et sûr de l’être. 

Sa vie fut bousculée par un événement immense et injuste : sa sœur, qu’il vénérait et qui avait eu un enfant avec un inconnu, juste pour en avoir un, simplement, décéda lors d’un terrible accident de téléphérique, dans une station de sports d’hiver. Elle laissait donc un enfant de deux ans. Et MP l’adopta, s’occupa de lui, aidée par une nourrice du Cap-Vert. 

C’est à cette époque d’apprenti-éducateur qu’il rencontra Anne-Laure. 

C’est elle qui lui donna rendez-vous un dimanche matin au Musée d’art moderne. Une exposition remarquable (Fautrier) qui ne pouvait être manquée. Ils déjeunèrent d’une salade à la cafétéria en pestant, gentiment, contre les adolescents qui faisaient claquer leur roller sur le parvis, par-delà la paroi vitrée. M lui offrit le catalogue de l’exposition et dans la librairie du musée, ils commentèrent activement les ouvrages, n’hésitant pas à décrier tel ou tel critique. La plupart des visiteurs du musée furent jaloux de leur bonheur. M eut d’ailleurs, à ce propos une réflexion qui la ravit (elle était sous le charme). Il considérait, en effet, qu’il fallait être discret dans le bonheur, par mansuétude à l’égard de ses prochains. Le dimanche soir était suffisamment triste dans les appartements et pavillons de banlieue pour ne pas accabler les pseudo-vivants (c’est son mot) du bonheur capté d’amoureux de l’après-midi et provoquer les scènes de femmes délaissées et d’hommes contrits. Le rire pouvait être scandaleux pour les perdus du dimanche. Il lui dit ces mots en la prenant par l’épaule. Leur nuit d’amour, rue Madame, restera inoubliable.  

Elle s’occupa de l’enfant, assidûment. Elle les aima calmement. 

Elle était dotée d’une fortune colossale (un héritage de haute tenue) et empêcha M de perdre son temps dans les emplois alimentaires, le forçant à écrire et à écrire encore. Elle était sûre de son talent. 

L’enfant grandissait dans un bonheur parfait. Dès l’âge de cinq ans, il commença à écrire des petits poèmes. Il faut dire que ses jeux n’étaient qu’intellectuels. M était obsédé par son apprentissage des mots. Tous les soirs, il en écrivait des dizaines sur des bouts de papier qu’il jetait sur le lit. L’enfant devait choisir ceux qui feraient une histoire à raconter.  

Anne-Laure avait trouvé un emploi inutile, à mi-temps, chez un commissaire-priseur et y prenait plaisir. Le travail est toujours agréable quand il n’est pas nécessaire. 

L’enfant (A) avait cinq ans quand le drame survint. 

Ils étaient dans leur nouvel appartement, un trois pièces, toujours rue Madame (une exigence de M). Il écrivait. Elle collait des photos de tableaux sur des cartons et l’enfant, sur le grand lit, classait les mots. 

L’on frappa à la porte. Ils se regardèrent, étonnés. Il était tard et ils n’attendaient personne. Il alla ouvrir. Un homme, d’une terrible laideur se tenait devant lui. Des yeux infiniment petits, comme des boutons de nacre sur la tête d’une poupée de chiffon. Pas de lèvres, un front très bas, et la peau vérolée. Il portait un costume blanc, trop grand, froissé. Il ne dit pas un mot, se contentant de faire un signe à Anne-Laure, par-dessus l’épaule de M. Elle se leva, prit son imperméable, baissa les yeux en passant devant M, sortit et ferma la porte derrière elle. 

Il ne comprenait pas. Il l’attendit toute la nuit mais elle ne revint pas. 

Le lendemain, il téléphona à l’étude du commissaire-priseur. Elle n’était pas venue. 

Les jours qui suivirent, l’on s’en doute, même s’il est difficile de se coller à la douleur des autres, furent atroces. 

 Il ne la revit plus jamais. Jamais.

Black, dark et white is white

Le magazine “Réponses photo” est une revue sérieuse pour un photographe amateur ou professionnel. Ce n’est pas “Photo” qui est presque un “Lui”, ni “Chasseurs d’image”, un peu rébarbatif dans la technique.

Il allie assez justement la technique photographique, le test de materiel et l’analyse théorique, sans sombrer dans le bouillonnement sémantique charrié par la photographie dite “contemporaine” qui ne peut exister, pour la plupart de ses représentants, que par le discours sur le discours, le métalangage qui oublie promptement son sujet pour se retrouver dans les limbes faussement discursives et prétendument efficientes.

On pourrait peut-être reprocher à ce magazine, justement une absence d’intrusion dans ce qui fait les galeries contemporaines et les “Paris-photo” dans lesquelles sont exposées,pour être vendu à prix extraordinaire, ce qui peut ne pas plaire à l’œil ou au public, qui est loin de la photographie au sens usuel. On peut ignorer mais ce faisant,on crée la distance et les catégories qui ne sont jamais bonnes pour les avancées.

Mais là n’est pas mon propos. Je voulais juste signaler un dossier assez bien fait, dans la dernière livraison du mois d’Avril. Sur le noir et blanc et sa fascination. Ceux qui me connaissent savent ma dévotion devant le monochrome travaillé des heures sur Lightroom, Nik collection, Photoshop, Dxo, Luminar et affinity (avec une préférence pour Nik).

Ça, c’est la technique, fascinante lorsque l’œil, par le logiciel maîtrisé, si j’ose dire, sa vision, sans le trucage facile offert par les smartphones aux compulsifs du déclenchement sans objectif ( si j’ose dire encore).

Donc le Noir et Blanc, le dossier. Une grande expo devait se tenir sur ce thème au Grand Palais. Évidemment reportée.

J’ai bien fait d’ouvrir la revue. J’ai retrouvé la phrase assassine contre le N&B que j’avais oubliée et qui me servait souvent de tremplin pour magnifier, sans s’y attacher exclusivement (j’aime la couleur) ce NB.

Je la donne. Elle est de la photographe Judith Linn laquelle nous dit, non sans intelligence, que “si la photographie avait été inventée en couleurs, qui aurait regretté le noir et blanc ?

C’est une vraie question. Elle navigue entre la nostalgie ou l’histoire envoûtante qui se substitue à l’esthétique et la simple acceptation de l’existence d’une photo.

Le noir et blanc ne serait qu’une étape dans la photographie et ne se conçoit pas “en soi”.

C’est un point de vue (si j’ose dire encore, décidément).

Il me paraît autant juste qu’erroné.

C’est une étape et, en tant que telle, a forgé des yeux, des visions. Et le passé ne peut être jeté aux orties, sous prétexte de l’horreur de la nostalgie ou, plus drastiquement, de l’obsession de la modernité.

Mais surtout, le noir et blanc, dans l’exacerbation de la lumière contrastée (c’est ce qui fabrique la photographie, juste les nuances dans la lumière), nous donne a voir un fait brut, dans tous les sens du terme. Et, de fait, dramatise la réalité dont nous savons qu’elle est en couleur, mais que nous percevons dans le désarroi du drame. Ce n’est pas par hasard que dans le deuil, c’est du blanc ou du noir. En gardant la métaphore (celle du jeu), on pourrait presque dire, comme un joueur, dans le jeu de mot que le blanc et le noir, les blancs et les noirs sont comme des échecs d’une réalité unique simplement reproduite.

J’ai osé.

Et j’arrête ici, pour ne pas me laisser emporter par les mots . Étant observé que sur les appareils (ordinateur, tablette,phone), j’ai adopté le “dark mode” (mode sombre), lequel fatiguerait moins les yeux. Ce qui est un alibi. Je cherchais sûrement du “black and white”

PS. En tête du billet, une de mes photos en noir et blanc.

PS 2. Je ne sais si je vais garder le jeu de mot du titre, substituant, dans une grosse malice, le Wight is wight de Delpech (j’aime ce chanteur) au white, jumeau du black…

Brève nouvelle incursion

On tente de ne pas consacrer nos billets au Covid et, au risque de la répétition, ne pas transformer ce site en media de la petite doxa. On laisse la petite tâche aux grands penseurs de Facebook et Twitter.

Juste un petit agacement : les écologistes de service qui tirent parti de la catastrophe peuvent encore énerver lorsqu’ils clament que c’est notre irrespect des animaux sauvages vendus dans les “wet markets” (les marchés humides) de Wuhang qui ont causé notre perte.

Ainsi, dans le Monde de ce soir, une tribune d’une écologiste dont l’incongruité en cette période consterne, tant elle est indécente.

je la colle ci-dessous :

Jane Goodall : « Prenons conscience que la pandémie est liée à notre manque de respect pour le monde naturel »

Si l’humanité continue d’ignorer les causes des zoonoses comme le Covid-19, elle risque d’être infectée par des virus encore plus redoutables, explique l’éthologue britannique dans une tribune au « Monde ».

L’éthologue britannique Jane Goodall, à Los Angeles, le 10 juillet 2019.
L’éthologue britannique Jane Goodall, à Los Angeles, le 10 juillet 2019. ROBYN BECK / AFP

Tribune. Le monde est confronté aujourd’hui à des défis sans précédent. Au moment où j’écris, le Covid-19 a infecté plus de 3 millions de personnes à travers le monde, et au 29 avril, 218 386 personnes en sont mortes.

Actuellement, les personnes dans la plupart des pays sont confinées chez elles (seules ou en famille), elles ont adopté des mesures d’éloignement sanitaire et réduisent au minimum leurs sorties. Certaines entreprises ont totalement fermé, d’autres maintiennent leurs activités en télétravail, et tandis que certaines personnes sont en activité partielle, des milliers d’individus à travers le monde ont perdu leur travail. Le coût économique de tout cela est déjà catastrophique.

Nous suivons les actualités et prions pour que le confinement se termine de pays en pays, après que le pic d’infection et de mortalité est atteint et que la courbe épidémique baisse graduellement. Cela s’est déjà produit en Chine, où le coronavirus est apparu, grâce aux mesures strictes prises par le gouvernement chinois. Nous espérons qu’un vaccin sera développé rapidement et que notre vie pourra bientôt redevenir normale. Mais nous ne devons jamais oublier ce que nous avons enduré et ainsi prendre les mesures nécessaires pour empêcher la réapparition future d’une telle pandémie.

Ce qui est tragique, c’est qu’une pandémie de ce genre a depuis longtemps été prédite par les personnes étudiant les zoonoses – ces maladies qui, comme le Covid-19, se transmettent des animaux aux humains. Il est presque certain que cette pandémie a commencé avec ce mode de transmission au sein du marché aux fruits de mer de la ville chinoise de Wuhan, qui vendait aussi des animaux terrestres sauvages comme nourriture…

La suite, pour ceux qui veulent la lire aux abonnés du Monde…

DONC : les humains sont méchants avec les animaux porteurs de virus. Ils ne les respectent pas. Et il ont ce qu’ils méritent…

Les écologistes (deep) s’ils n’étaient idiots, mériteraient une grande claque. Mais comme ils sont idiots, d’une idiotie adolescente, on leur pardonne leur impéritie. Il faut qu’ils grandissent.

On fait preuve, ici, d’humanité.

Méchants hommes, va ! dit-on sur les estrades de collège.

Ce discours est indécent.

PS. Désolé de cette incursion dans le débat, même si je ne débats pas. On ne discute pas avec l’idiotie. On la constate.