Histoire de la solitude” de Sabine Melchior-Bonnet 

Extrait TELERAMA

Symbole d’échec ou instrument de liberté ? L’historienne décrypte avec brio le concept de solitude, des temps médiévaux à nos jours.

Par Nathalie Crom

Publié le 04 décembre 2023 à 10h55

«Interrogez votre cœur : il vous dira que l’homme de bien est dans la société et qu’il n’y a que le méchant qui soit seul. » Incluse par Diderot dans sa pièce Le Fils naturel ou les Épreuves de la vertu (1757), la réplique verra l’écrivain et philosophe essuyer la fâcherie de son ami Rousseau, qui s’était senti visé par cette observation. L’anecdote, qui figure dans la passionnante Histoire de la solitude, de Sabine Melchior-Bonnet, illustre l’une des appréhensions de l’état de solitude, récurrentes au travers des siècles : « vécue comme un malheur ».

« Être abandonné, discriminé, écarté, disqualifié, condamné à la solitude, c’est vivre une mort sociale », décline l’historienne. Mais la vision inverse est tout aussi vraie, et tout aussi pérenne : depuis toujours, « philosophes et mystiques, poètes et aventuriers cherchent un refuge secret qui les délivre des affaires et des devoirs, où ils puissent se soustraire aux regards intrusifs ». Se fixer pour objectif, comme l’a fait Sabine Melchior-Bonnet, d’écrire une histoire de la solitude, des temps médiévaux à nos jours, c’est évoluer en permanence entre ces deux pôles, le négatif et le positif, et observer les oscillations qui font sans cesse vibrer et se déplacer le point d’équilibre. C’est aussi puiser faits et indices aux registres mêlés de l’histoire des mentalités et de l’histoire religieuse, de celle également des représentations — littéraires, plus particulièrement.

L’historienne s’y emploie avec érudition et brio, rappelant d’abord, avec l’aide de Jacques Le Goff, « la conception dominante de l’individu au Moyen Âge […] où l’homme existe comme partie d’un corps organique où les membres doivent obéir à la tête, “faisant se fondre l’individu dans les communautés auxquelles il appartient, l’ordre ou l’état social, la paroisse, la corporation et bientôt l’État en gestation” », pour avancer de façon alerte vers les Temps modernes et observer, au fil du temps, l’évolution de la conscience de soi de l’individu et la perception grandissante de la solitude comme « condition nécessaire à l’accomplissement de soi ».

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Sabine Melchior-Bonnet sait être tout ensemble précise et synthétique, convoquant, au cours de l’examen de son sujet, entre autres interlocuteurs Montaigne, les jansénistes (« Il faut aimer la solitude où on meurt au monde quelque peu de temps, pour y apprendre à mourir pour toujours », écrivait sublimement Saint-Cyran), Pascal, Bossuet, plus tard Kierkegaard, Stendhal, Amiel ou Vigny… Prêtant une attention toute particulière à la solitude féminine, longtemps particulièrement mal perçue par la société (« car il y a dans la solitude le germe empoisonné de leur indépendance »), sans négliger d’aborder, ultimement, l’extrême contemporain et ses nouveaux paradoxes — telle cette « solitude interactive » permise par les réseaux sociaux…

« Histoire de la solitude. De l’ermite à la célibattante  ». 360 p. ouf.

PS.J’AFFIRME QUE JE NE SAVAIS QUE Sabine Melchior-Bonnet  disait que: “La rupture amoureuse est un sujet d’étude à inventer” Faut que je fasse plus vite. Voit mon précédent billet. Pas hasard, la nuit, à l’heure de l’écriture avant de plonger sous la couette

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