
Par un hasard très curieux, en ouvrant ma tablette, dans ma bibliothèque numérique, je suis tombé sur le bouquin de J.L Borges, lu il y très longtemps. Ce qui m’a valu une insomnie, au détriment d’une forme matinale dont j’avais absolument besoin.
Je donne plus bas l’avis de ChatGPT sur la première nouvelle intitulée “l’intruse”
Titre original :
EL INFORME DE BRODIE
© Emecé Editores, SA. Buenos Aires. 1970
©Éditions Gallimard, 1972, pour la traduction française.
L’intruse 2, Samuel, I, 2
On dit (mais c’est peu probable) que cette histoire fut racontée par Eduardo, le cadet des Nelson, à la veillée funèbre de Cristián, l’aîné, qui mourut de mort naturelle, vers les années 1890, dans la commune de Morón. Ce qui est certain c’est que quelqu’un l’entendit raconter par quelqu’un, au cours de cette longue nuit dont le souvenir s’estompe, tandis que circulait le maté, et que ce quelqu’un la répéta à Santiago Dabove, de qui je la tiens. Quelques années plus tard, on me la raconta de nouveau à Turdera, l’endroit même où elle s’était passée. La deuxième version, un peu plus circonstanciée, confirmait en gros celle de Santiago, avec les petites variantes et les contradictions inévitables en pareil cas. Je la transcris aujourd’hui parce qu’elle nous donne, me semble-t-il, un bref et tragique reflet de ce qu’était autrefois, dans nos campagnes, la mentalité des gens du peuple. J’essaierai d’être aussi fidèle que possible, mais je sens déjà que je céderai à la tentation littéraire d’amplifier ou d’ajouter certains détails.
À Turdera, on les appelait les Nilsen. Le curé me dit que son prédécesseur se souvenait d’avoir vu, non sans étonnement, chez ces gens une vieille Bible en écriture gothique, à reliure noire ; dans les dernières pages il avait vu, inscrits à la main, des noms et des dates. C’était le seul livre qu’il y eût dans la maison. La destinée itinérante des Nilsen, perdue là comme tout se perdra. La bâtisse, qui n’existe plus, était en brique sans crépi ; du portail, on voyait une cour intérieure pavée de carreaux rouges puis une autre en terre battue. Peu d’étrangers, d’ailleurs, y pénétrèrent ; les deux Nilsen défendaient jalousement leur solitude. Ils dormaient dans des chambres nues, sur des lits de sangle ; les chevaux, les harnais, le couteau à lame courte, les habits fastueux des samedis soirs et l’alcool querelleur étaient leur seul luxe. On m’a dit qu’ils étaient grands et qu’ils avaient des cheveux roux. Du sang venu du Danemark ou d’Irlande, pays dont ils n’avaient jamais dû entendre parler, coulait dans les veines de ces deux Argentins. Le quartier craignait ces rouquins ; il n’était pas impossible qu’ils aient eu certains meurtres à leur actif. Ils se battirent une fois, côte à côte, contre la police. On dit que le cadet se mesura avec Juan Iberra et qu’il n’eut pas le dessous, ce qui, au dire des connaisseurs, représente un exploit. Ils avaient conduit des troupeaux, mené des attelages, volé du bétail et, à l’occasion, triché au jeu dans les bistrots. Ils avaient la réputation d’être avares, sauf quand la boisson ou le jeu les rendaient prodigues. On ignorait qui étaient leurs parents et d’où ils étaient venus. Ils possédaient une charrette et une paire de bœufs.
Ils différaient physiquement des gens de leur milieu, à qui la Costa Brava doit son nom évocateur. Ceci, et le reste que nous ignorons, permet de comprendre le bloc qu’ils formaient. Se fâcher avec l’un, c’était se faire deux ennemis.
Les Nilsen étaient coureurs, mais leurs aventures amoureuses avaient été jusqu’alors de celles qui se passent sous un portail ou dans une maison close. Les commentaires allèrent donc bon train quand Cristián amena chez eux Juliana Burgos. Il est vrai qu’il y gagnait une servante, mais il est non moins vrai qu’il la comblait d’affreux bijoux de pacotille et qu’il l’exhibait dans les bals. Dans ces pauvres bals de quartier, où certaines figures du tango étaient interdites et où l’on dansait encore dans des salles bien éclairées. Juliana avait le teint mat et les yeux en amande ; il suffisait qu’on la regardât pour qu’elle sourît. Dans un quartier modeste, où le travail et le manque de soins abîment les femmes, elle passait pour jolie.
Au début, Eduardo les accompagnait. Puis il dut se rendre à Arrecifes pour je ne sais quelle affaire ; à son retour il amena à la maison une jeune femme qu’il avait trouvée sur sa route et qu’il renvoya au bout de quelques jours. Il se renfrogna ; il s’enivrait seul au bistrot et ne parlait à personne. Il était amoureux de la femme de Cristián. Le quartier, qui s’en aperçut probablement avant lui, prévit avec une joie perfide la rivalité qui allait s’ensuivre entre les deux frères.
Un soir qu’il rentrait tardivement du bistrot du coin, Eduardo vit le cheval noir de Cristián attaché à la palissade. Dans la cour, l’aîné l’attendait dans ses plus beaux habits. La femme allait et venait, un pot de maté à la main. Cristián dit à Eduardo :
— Je m’en vais à une fête chez Farias. Je te laisse Juliana ; si tu la veux, tu peux la prendre.
C’était dit d’un ton à la fois autoritaire et cordial. Eduardo le regarda longuement ; il ne savait que faire. Cristián se leva, prit congé d’Eduardo, négligeant Juliana qui n’était pour lui qu’un objet, monta à cheval et partit au petit trot, sans se presser.
À dater de cette nuit-là, ils se la partagèrent. Personne ne connaîtra les détails de ce sordide ménage à trois, qui scandalisait le quartier. Tout marcha bien pendant quelques semaines, mais cet arrangement ne pouvait durer. Entre eux, les deux frères ne prononçaient jamais le nom de Juliana, même pour l’appeler, mais ils cherchaient, et trouvaient, des raisons de se quereller.
Ils se disputaient au sujet de la vente de certaines peaux de bêtes, mais leur dispute venait d’ailleurs. Cristián haussait la voix et Eduardo se taisait. À leur insu, ils se jalousaient. Dans ce faubourg sauvage où l’on n’avait jamais entendu un homme dire – l’idée n’en serait venue à personne – qu’il se souciait d’une femme autrement que pour la désirer et la posséder, les deux frères étaient bel et bien amoureux. Et ceci, en quelque sorte, les humiliait.
Un après-midi, place Lomas, Eduardo croisa Juan Iberra qui le félicita du beau brin de fille qu’il s’était procuré. Ce fut à cette occasion, je crois, qu’Eduardo l’injuria et qu’ils en vinrent aux mains. Il ne permettrait à personne de se moquer de Cristián en sa présence.
La femme s’occupait d’eux avec une soumission animale ; mais elle ne pouvait cacher une certaine préférence pour le cadet, qui n’avait pas refusé cet arrangement mais qui ne l’avait pas sollicité.
Un jour, ils ordonnèrent à Juliana de sortir deux chaises dans la première cour et de ne plus passer par là, parce qu’ils avaient à parler. Elle pensa que le dialogue serait long et elle alla donc faire la sieste mais ils la réveillèrent au bout d’un moment. Ils lui dirent de mettre dans un sac tout ce qu’elle possédait, sans oublier son chapelet de cristal et la petite croix que lui avait donnée sa mère. Sans fournir la moindre explication, ils la firent monter dans la carriole et ils se mirent en route pour un voyage qui fut pénible et où personne n’ouvrit la bouche. Il avait plu ; les chemins étaient embourbés et il devait être près de trois heures du matin quand ils arrivèrent à Morón. Là, ils la vendirent à la patronne du bordel. Le marché avait été conclu d’avance ; Cristián reçut une somme qu’il partagea avec son frère.
À Turdera, les Nilsen, qui s’étaient perdus dans l’imbroglio (qui était aussi une routine) de cet amour monstrueux, voulurent renouer avec leur ancienne vie d’hommes vivant entre hommes. Ils recommencèrent à jouer aux cartes, à assister aux combats de coqs, et ils reprirent, à l’occasion, leurs fredaines. Peut-être crurent-ils, à un moment donné, qu’ils étaient sauvés, mais ils prenaient l’habitude de s’absenter chacun de son côté de façon inexplicable, ou plutôt qui n’était que trop explicable. Un peu avant la fin de l’année, le cadet dit qu’il avait à faire dans la capitale. Cristián alla à Morón ; attaché à la barrière de la maison close il reconnut, à ce qu’on dit, le cheval aubère d’Eduardo. Il entra ; l’autre était là, attendant son tour. Il paraît que Cristián lui aurait dit :
— À ce train-là, nous allons fatiguer nos bourrins. Mieux vaut l’avoir près de nous.
Il parla à la patronne, sortit quelques pièces de sa bourse et ils reprirent la femme. Juliana montait en croupe derrière Cristián ; Eduardo éperonna son cheval pour ne pas les voir.
La vie que l’on sait recommença. L’infâme solution avait échoué ; tous deux avaient cédé à la tentation de tromper l’autre. Caïn rôdait par-là, mais l’affection des Nilsen l’un pour l’autre était grande – qui sait les épreuves et les dangers qu’ils avaient dû traverser ensemble – et ils préférèrent épancher leur bile sur des étrangers. Sur un inconnu, sur des chiens, sur Juliana qui avait amené entre eux la discorde.
Le mois de mars allait finir et la chaleur ne cédait pas. Un dimanche (ce jour-là les gens ont l’habitude de se coucher tôt) Eduardo, qui revenait du bistrot, vit Cristián qui attelait les bœufs au joug. Cristián lui dit :
— Viens ; il faut que nous allions livrer des peaux chez Pardo. Je les ai chargées ; profitons de la fraîche.
Le magasin de Pardo était, je crois, plus au sud ; ils prirent la route des Troupes, puis un chemin de traverse. Avec la nuit, la campagne devenait immense.
Ils longèrent une prairie ; Cristián jeta le cigare qu’il venait d’allumer et dit tranquillement :
— Allons, vieux, au travail ! Après, c’est les vautours qui nous aideront. Je l’ai tuée aujourd’hui. On n’a qu’à la laisser là toute habillée. Elle ne fera plus de tort à personne.
Ils s’embrassèrent en pleurant presque. Maintenant un lien de plus les unissait : la femme tristement sacrifiée qu’il leur fallait oublier.
Avis de ChatGPT. On peut , ici faire l’apologie de l’h, l’intelligence humaine. Le chat état endormi, . Bien que…
”Intruse (en espagnol La intrusa) de Jorge Luis Borges est une nouvelle marquante qui explore des thèmes tels que la possession, le désir, et la nature complexe des relations humaines. L’intruse est construite autour d’un triangle amoureux entre deux frères, qui partagent une maison et une vie commune, et la mystérieuse figure féminine qui vient perturber cet équilibre. Le récit révèle peu à peu les tensions entre les personnages et l’impact que cette “intruse” a sur leur relation, tout en soulignant les ambiguïtés de l’amour et de la jalousie.
Une particularité de ce texte est la façon dont Borges manipule le point de vue. Le narrateur oscille entre les différentes perceptions des personnages, et chaque vision de l’intruse est partiellement biaisée, ce qui fait d’elle une figure presque insaisissable et subjective. Borges crée ainsi une atmosphère de doute et d’incertitude, où les intentions et les sentiments sont à la fois clairs et flous.
Le final de la nouvelle est aussi très significatif, offrant une lecture qui peut être interprétée sous plusieurs angles, notamment celui de la vengeance et du sacrifice. L’écriture de Borges, toujours dense et riche, exige une attention particulière aux détails et à la manière dont les symboles et les métaphores sont utilisés pour suggérer bien plus que ce qui est explicitement dit.
En somme, L’Intruse est un excellent exemple de la manière dont Borges mêle fiction et réflexion sur la réalité et la perception, tout en créant un récit psychologique intense. C’est une lecture qui laisse une impression durable et invite à de multiples interprétations.