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A propos. Les photographies dans ce billet sont de moi. Les premières sont carrées, celles après le petit texte, au format “photographe”, 24×36 donc, 2/3 si l’on préfère. Le texte, qu’on propose après les photos carrées, avant les autres, ne constitue pas un commentaire. Il s’agit, simplement de s’amuser du “slash” dans mon titre. J’ai limité le nombre de photos, non par modestie, mais par fainéantise. Je ne suis pas mécontent de mon texte. Un peu éméché. Je le crois supérieur â l’introduction du S/Z de Mr Roland Barthes. Je reprends vite conscience et me flagelle par le slash…

MB/NB

A propos

Slash. Mon titre se donne un air de mystère, amplifié par cette barre oblique, ici, non inversée, un « slash » en anglais, qui sépare des lettres sans signification immédiate. 

Certains peuvent se souvenir du titre d’un bouquin de Roland Barthes (S/Z) que peu avaient lu, même s’ils l’avaient acquis à la Librairie des PUF, à la Hune, à la Librairie Maspero, toutes dans le quartier dit « latin ». C’était dans les années 70.

Le titre, énigmatique s’il en est, l’autorisait à figurer en excellente place dans une bibliothèque de nouvel intellectuel, avide de modernité ou de postmodernité, comme l’on voudra. La bibliothèque, comme on le sait, permettait et permet, encore, de « donner à voir » ce que l’on lit. 

Les romans policiers qui ne sont ni de Dashiell Hammet ou de Raymond Chandler, entrés désormais dans la littérature, ou les livres de Guy Descars qui sont restés dans celle de gare, étaient rangés très haut ou très bas, loin, en tous cas, d’une vue curieuse qui emportait un jugement définitif dans le classement social et intellectuel. On se demande encore le motif pour lesquels ce type de bouquins était encore visible dans les bibliothèques choisies. Sûrement un tremblement devant la destruction d’un livre que le roman de Ray Bradbury (Fahrenheit 451), adapté au cinéma par Truffaut pouvait provoquer. Le livre, à vrai dire le papier, dès l’instant où il était relié, était sacré. Le détruire revenait, comme dans le roman ou le film, à le brûler.

A l’époque, qui était celle d’un bouillonnement intellectuel, lequel d‘ailleurs, ne se percevait pas, l’obscurité du texte (presque un obscurantisme) configurait le « démarquage » du lecteur. Ainsi, beaucoup de livres, à la mode, étaient souvent cités même s’ils n’étaient pas lus, l’apprenti théoricien le laissant tomber de ses mains au bout de quelques pages, pour s’assoupir dans son nouveau canapé acheté, cher, à crédit, chez Habitat. 

Il connaissait, cependant, son titre et savait le « placer » dans une conversation presque mondaine, à l’heure d’un dessert. On avait quand même du culot : on pouvait citer un auteur du Collège de France, employer un mot rare, manier une pensée absconse, sans subir l’interruption après quelques secondes de prise de parole. On dit aujourd’hui autour des tables que les conversations parallèles, dans le brouhaha, les multi-conversations sont la norme et qu’on ne peut monopoliser la parole.  Il y avait, cependant, du plaisir à écouter un convive plus d’une minute, nous raconter ce qu’il avait à dire, intellectuel ou insignifiant.

Ce n’est donc plus le cas. L’inculture ou, plutôt, la fainéantise dans l’appréhension raisonnée du monde (la non-lecture, à vrai dire), se camoufle derrière l’ironie pour enfouir, dans un faux rire gras et bruyant, sa méconnaissance du sujet abordé ou le vide d’une pensée.

On ose le dire, au risque de paraitre je ne sais qui : c’était mieux, dans ce champ du moins, “mieux avant”

On peut, désormais, ne pas connaitre, et, mieux encore, s’en vanter, l’intellectualité étant « évidemment » assommante.

Il est vrai que les essais contemporains, souvent écrits par un journaliste au verbe moyen ou un jeune professeur en quête de célébrité, n’ont pas la portée des bouquins que tous attendaient, pour le feuilleter, le caresser bien sûr, avant de souligner les passages essentiels par un joli porte-mine. Les bouquins de Foucault, de Barthes, d’Althusser ou, plus pointu, de Lacan.

En réalité, ce qui précède n’a absolument aucune importance et ne constitue qu’une introduction à une série de photographies que j’avais désiré en noir et blanc et que je colle ici après lesdites photos.

Il ne s’agissait que d’expliquer mon titre, presque chic (nb/mb), « Noir et Blanc par Michel Béja », que j’avais trouvé en pensant, certainement, déjà à Barthes, inconsciemment, à sa « Chambre claire » (l’un de ses livres) et partant à son « slash », de son S/Z. Le slash est assez chic.

Ces digressions autour de la barre oblique m’auront, en tous cas, permis de goûter les joies de l’écriture ininterrompue, celle qui fait jaillir, délicieusement, le cliquetis d’un clavier rythmé, qui n’attend que des doigts fébriles, à la mesure de l’écriture qui vient vite.

On peut ainsi constater le caractère dérisoire du titre, qui n’est qu’une stratégie assumée de son mystère, désormais percé par ce qui précède. On peut, également, constater l’inutilité de l’écriture qui ne s’enroule que dans elle-même.

le noir et blanc. La première photo couleur apparait à la fin des années 1860. Il faudra attendre près de cent ans avant que la couleur ne supplante le noir et blanc, en quantité. 

La photographie a commencé, pour des raisons techniques, son histoire en monochrome.

Brassai, Boubat, Cartier-Bresson, Doisneau, Izis, Ronis boudent la couleur. Ces grands inventeurs de la photographie qui devient donc un art (qui deviendra « moyen » nous dira, vilainement, dans les mêmes années 70, Pierre Bourdieu) usent du noir et blanc dans leur travail dit, curieusement, « humaniste », un mot trompeur lorsqu’on côtoie la philosophie. Il ne s’agit que de dire qu’il s’agit de la mise en scène des humains, de la captation de leurs émotions par le déclenchement adéquat (le fameux « instant décisif ») d’un appareil.

Photographie, au demeurant, beaucoup parisienne. Rues d’un Paris qui plonge dans la poésie, souvent assez réussie, le noir et blanc y participant assurément.

Ce sont les photos en « noir et blanc » les plus connues, même si les américains ne sont pas en reste, qu’il s’agisse de Saul Leiter (mon photographe préféré, qui a « inventé » paradoxalement la couleur de rue), de Newton, d’Arthur Elgort (un photographe merveilleux des femmes, de Vivian Maier) ou même, plus tard Hamilton ou Kenna, en passant par Robert Capa.

Désormais, la photographie en noir et blanc est devenue une proposition, dans tous les logiciels et autres applications qui fleurissent dans les smartphones.

On s’imagine « auteur », (« auteure », « autrice ») quand on clique sur le filtre de conversion de son image en couleur vers le noir et blanc. On est persuadé d’atteindre un au-delà de l’immédiateté, qui nous fabrique artiste. 

Il en est ainsi, de manière assez flagrante, pour les photographes de mariage, ceux qui me font beaucoup rire, qui mitraillent dans le désordre et sans recadrage ou recherche d’une lumière, les invités et les mariés, qui offrent leurs photos en noir et blanc. Ça mitraille, dirait un psychanalyste. Et ça convertit en masse, par un simple clic, de la couleur en noir et blanc, pour affirmer son statut de photographe. On rit beaucoup en les voyant à l’œuvre. Mais, là encore, on s’égare.

Il est vrai que le noir et blanc est assez magique.

Pour une raison principale : il nous entraine hors de la réalité, sans cependant nous plonger dans l’inconnu puisqu’aussi bien, nous en avons la pratique, visuelle s’entend. Nous connaissons le noir et blanc qui n’est pas la réalité, pour l’avoir subi dans notre regard depuis toujours, y compris dans le roman-photo qui trainait chez les coiffeurs de notre enfance. Et dans les salles de cinéma, le film en noir et blanc étant la règle, sauf pour les péplums hollywoodiens en technicolor et grand panorama. Il est donc un artifice qui nous est connu, qui s’est imprimé dans notre vision. Et ce alors pourtant qu’il n’est pas la réalité immédiate. Comme, au demeurant, là encore curieusement, le flou artistique. 

Drame. Nous aimons le noir et blanc. C’est dans notre monde et c’est poétique. Nous savons que c’est poétique, donc nous l’aimons. Le noir et blanc nous aide, curieusement, à magnifier une réalité qu’il ne reproduit pas.

Mieux, le noir et blanc nous entraine vers la réflexion. Regarder, quelques secondes, une photographie en noir et blanc nous donne cette conviction d’un au-delà de l’immédiateté. Sans que nous n’ayons à penser cette extériorité du monde et de soi.

Il y a quelque temps, le magazine “Réponses photo », revue sérieuse pour un photographe amateur ou professionnel, qui allie assez justement la technique photographique, le test de matériel et l’analyse théorique, sans sombrer dans le bouillonnement sémantique charrié par la photographie dite “contemporaine” qui ne peut exister, pour la plupart de ses représentants, que par le discours sur le discours, avait proposé un numéro sur le « noir et blanc » et sa fascination, une grande expo devant se tenir sur ce thème au Grand Palais. 

Judith Linn nous disait, non sans intelligence, que “si la photographie avait été inventée en couleurs, qui aurait regretté le noir et blanc ?

Le noir et blanc, nous disait-on, dans l’exacerbation de la lumière contrastée (ce qui fabrique la photographie, les nuances dans la lumière), nous donne à voir un fait brut, dans tous les sens du terme. Et, de fait, dramatise la réalité dont nous savons qu’elle est en couleur, mais que nous percevons, par la lecture de l’image, dans le désarroi du drame. Ce n’est pas par hasard que dans le deuil, c’est du blanc ou du noir. 

On pourrait presque dire, dans le « jeu « de mots, que les blancs et les noirs sont comme des échecs d’une réalité unique simplement reproduite.

Tristesse. Lorsqu’à l’heure de l’apéritif, vous racontez que vous avez marché des kilomètres sur la neige, au bord de la Mer Baltique, à l’eau lourde, d’une noirceur inédite, il y a toujours un millième de seconde de réflexion ou d’interrogation chez celui qui écoute, pourtant attentif. 

En réalité, ici encore, les tics et les associations nous figent. La mer a son sable, peut-être ses galets, mais pas sa neige. Le couple sonne mal. Malicieux ou méchant, on pourrait dire que cet enlacement est éphémère, le temps d’un hiver.

On peut, cependant, ici, affirmer que certaines photographies, sont, par nécessité, en noir et blanc. C’est le cas de la Baltique en hiver. 

Brute, noire, grise, binaire, violente dans ce tourbillon obscur. Le ciel est sombre, noir, la mer se bat avec tous les gris du monde. Et même les silhouettes ne s’habillent que de foncé. A la mesure, au diapason de la noirceur, de la grisaille.

Mais la grisaille n’est pas tristesse : la connotation péjorative attachée à la grisaille doit être combattue. 

Le bleu n’est pas royal, mais simplement plus facile à s’accrocher à la beauté. La couleur rend fainéante la recherche esthétique, par la facilité avec laquelle elle se donne.

Les « nuances de gris » que le photographe connait dans son logiciel de retouche (c’est une « fonction ») sont subtils et, partant improbables.

Il est vrai qu’il est difficile, tant les impressions et les mots se collent à nos tempes, de séparer la grisaille de sa valeur dans le champ sémantique de la dépréciation d’une joie. Mais non. Mieux encore, quelquefois, par sa simplicité presque binaire, le noir et blanc nous fait mieux percevoir le bonheur. 

Je pense, à l’instant même à une photo tirée du film de Jean Renoir (Toni), prise, sûrement par son neveu, directeur de la photographie du film où l’on met en scène Célia Montalvan et Charles Blavette. Je ne l’imagine pas en couleur. Je la donne ci-dessous, sans autre commentaire. Dieu, quelle belle photo.

La photographie en noir et blanc, laquelle sublime la réalité, pour nous offrir ces « nuances invisibles », nous prend donc par la main, nous éloigne de cette bévue de la malédiction de la grisaille.

Épilogue. D’un titre (nb/mb ou l’inverse mb/nb), on a fait s’emballer notre clavier.

On aurait pu, simplement, expliquer et laisser notre lecteur rester un regardeur qui fait défiler les pages de notre billet.

Mais on a voulu écraser la facilité de la simple citation introductive sur le noir et blanc du style la fameuse locution entendue dans une salle de classe des  Beaux-Arts selon laquelle « la couleur est descriptive, le noir et blanc interprétatif. ». Bof.

J’ai évité au lecteur ce genre de fadaises. Les miennes, qui expliquent mon titre et vagabondent dans le vide n’en sont pas moins plates. Elles n’ont qu’un seul mérite : rappeler que les mots inutiles sont aussi importants qu’une photographie ratée. Ils nous laissent en chemin.

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