Autour d’une table où le repas était chabbatique, l’un des convives me dit avoir entendu dans la bouche d’un parent que je défendais une thèse assez curieuse selon laquelle le judaïsme avait inventé le monde sans “sujet agissant, libre et conscient”.
Je lui réponds que c’est un peu plus complexe que ça et qu’il est difficile entre le couscous et la pastèque de développer l’idée, l’hypothèse…
Il insiste, en clamant haut et fort que si le tenant d’une thèse ne peut l’exprimer en quelques phrases, c’est un imposteur.
Je lui réponds, à ce terrible débatteur, qu’il a raison. Il sourit, croise les bras, relève le torse et attend mon explication, laissant refroidir les mets délicieux devant lui.
Je réfléchis, il ne faut pas être long et ennuyer la table (comme beaucoup le savent, lorsque l’on prend la parole pour ne pas sortir des lieux communs ou des résultats sportifs, lorsqu’on emploie que quelques secondes quelques concepts, on vous dit, si vous interdisez l’interruption, qu’il s’agit d’un “monologue”. Curieux mais exact, essayez).
Je me lance. Et, table oblige, convoque le Talmud et Moïse.
Tous me regardent. Attention à la critique du monologue !
Je rappelle que pour le judaïsme, l’authentique interprétation de la Bible hébraïque a été déposée dans la Tora orale, complément nécessaire et inévitable de la Tora écrite.
Et c’est un immense « mystère », cet achèvement de la Loi écrite qui n’a été donné qu’aux juifs, la communauté d’Israël, qu’oralement, transmise de la même manière de génération en génération.
J’ajoute que le le Talmud montre le plus grand de tous les prophètes, Moïse, assistant à un cours de l’illustre Rabbi Aqiba. Oui, Moïse élève. Et Aqiba est stupéfait d’entendre dans la bouche de celui qui a conversé avec le maître de l’univers, prétendre qu’il ne connaissait pas les commentaires qu’il avait pourtant lui-même donnés à entendre, sous son propre nom (Moïse)
Et il est dit dans le Talmud que :
« Tout ce qu’un disciple fervent est destiné à apporter de neuf, a été déjà dit à Moïse sur le mont Sinaï. ».
Je m’arrête ( peur de l’accusation de monologue).
L’homme décroise les bras, prend sa fourchette et dit : “j’ai compris”
L’un des convives pose sa cuillère, croise les bras et dit : “pas moi ! “.
L’homme questionneur lui dit :
– Tu ne peux comprendre car il n’y a rien à comprendre puisque nous ne pouvons comprendre, la parole est donnée, les hommes ne l’ont pas fabriquée et la reçoivent en tentant de la structurer. Pas de sujet de parole, pas de sujet.
Je baisse les yeux . Il sourit.