Balzac

Je donne cet extrait, pour rappeler le talent de Balzac qui ne se fond pas exclusivement dans la narration et le feuilleton sans fin. Un mystère, que cette faculté d’écrire au ras du sublime, par celui qui clamait qu’il ne faisait que juste écrire des histoires. Il est dommage qu’il ait trop écrit, la quantité, selon certains, se substituent nécessairement à la qualité. Ce faisant, l’on cherche sans trouver, des pages véritablement superfétatoires. Flaubert et Stendhal, plus précieux, sont les plus aimés des parisiens des boulevards et impasses près du Marais parisien. Pour un seul motif : la prétendue rareté, la réserve littéraire. Le ru, pas le fleuve, dit-on. Dommage que le plus, l’exacerbé, le volume sans limites, l’ampleur, la démesure, ne trouvent pas grâce aux yeux des petits critiques de salon, aux yeux fatigués après 50 pages de lecture, dans la recherche des adjectifs pédants, pompeux peut-être. J’écris ceci alors que tous savent mon admiration pour Flaubert. Donc, l’extrait de Balzac. A Natalie. Sans H, sans celle du bûcheron, dirait l’apprenti freudien.

À MADAME LA COMTESSE NATALIE DE MANERVILLE.


« Je cède à ton désir. Le privilége de la femme que nous aimons plus qu’elle ne nous aime est de nous faire oublier à tout propos les règles du bon sens. Pour ne pas voir un pli se former sur vos fronts, pour dissiper la boudeuse expression de vos lèvres que le moindre refus attriste, nous franchissons miraculeusement les distances, nous donnons notre sang, nous dépensons l’avenir. Aujourd’hui tu veux mon passé, le voici. Seulement, sache-le bien, Natalie : en t’obéissant, j’ai dû fouler aux pieds des répugnances inviolées. Mais pourquoi suspecter les soudaines et longues rêveries qui me saisissent parfois en plein bonheur ? pourquoi ta jolie colère de femme aimée, à propos d’un silence ? Ne pouvais-tu jouer avec les contrastes de mon caractère sans en demander les causes ? As-tu dans le cœur des secrets qui, pour se faire absoudre, aient besoin des miens ? Enfin, tu l’as deviné, Natalie, et peut-être vaut-il mieux que tu saches tout : oui, ma vie est dominée par un fantôme, il se dessine vaguement au moindre mot qui le provoque, il s’agite souvent de lui-même au-dessus de moi. J’ai d’imposants souvenirs ensevelis au fond de mon âme comme ces productions marines qui s’aperçoivent par les temps calmes, et que les flots de la tempête jettent par fragments sur la grève. Quoique le travail que nécessitent les idées pour être exprimées ait contenu ces anciennes émotions qui me font tant de mal quand elles se réveillent trop soudainement, s’il y avait dans cette confession des éclats qui te blessassent, souviens-toi que tu m’as menacé si je ne t’obéissais pas, ne me punis donc point de t’avoir obéi ? Je voudrais que ma confidence redoublât ta tendresse. À ce soir.
» FÉLIX.

Honoré de Balzac. Le lys das la vallée.

PS. Balzac freudien : “oui, ma vie est dominée par un fantôme, il se dessine vaguement au moindre mot qui le provoque, il s’agite souvent de lui-même au-dessus de moi. J’ai d’imposants souvenirs ensevelis au fond de mon âme comme ces productions marines qui s’aperçoivent par les temps calmes

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