Dans un précédent billet, j’avais titré “La France s’ennuie”. Là c’est le monde, du moins celui de l’Occident un peu défait par le complotisme, la paranoïa, la schizoïdie, par les méchants maitres du Net.Comme si le seul moyen de sortir du confinement (qui n’est pas uniquement celui décidé administrativement, mais celui de l’esprit enfermé et calé sur la parole publique en boucle) serait de chercher de la compagnie, laquelle si elle n’est pas physique, pourrait être dans “l’invisible”, vous savez, ceux qui sont près de nous, à nous espionner. Ca fait de la visite.
Il n’y a donc une conversation que l’on veut enjouée et caressante, qui ne dégénère pas sur le mensonge politique, l’inexistence du virus, le capitalisme glouton, Amazon au pilori, les contradictions scientifiques, les faux chiffres, la vraie grippe. Bref le discours prévisible et, partant, ennuyeux, peut-être fatigant. Et évidemment (c’est l’objet de ce billet) la grande intrusion, la gigantesque surveillance que les grands méchantes entreprises, maitresses du Net et suceuses d’informations cruciales, inédites sur notre personne, mettent en oeuvre, à chaque seconde, à chaque clic. Grande manipulation.
La navigation en ligne “privée” a le vent en poupe, Firefox Focus, remplaçant les onglets privés. Et le VPN, un protocole de cryptage très à la mode, qui permet de rester anonyme sur le Net, souvent payant, fait son beurre.
Je le dis depuis assez longtemps. Le suivi insidieux par “eux”, de nous tous, de votre activité en ligne, prétendu et non toujours avéré, n’a absolument aucune importance. Le fait de savoir si je préfère un pull en cachemire ou si je suis un admirateur d’un grand philosophe, ou d’une belle voiture décapotable, je préfère Le Monde à Minute le Figaro au Monde, si j’aime une très belle chanteuse de Jazz ou si je cherche sur Wiki, la date de naissance de David Hume, tous ces faits qui seraient captés par la “grande surveillance” n’ont aucune importance. L’avantage du numérique et sa prodigieuse aide qu’il nous apporte dans notre quotidienneté l’emporte sur le reste qui n’est que blablatage qui meublent des instants inféconds. Discours creux provenant souvent de ceux qui se donnent à voir, pour tenter encore d’exister, dans les Facebook, Twitter et autres Snapchat, toutes plateformes nettement plus “surveilleuses” dans lesquels je ne suis pas, pour l’avoir décidé il y a bien longtemps. Meme dans ce Linkedin pour professionnels, que je devrais fréquenter, inventeur de carrières et passe temps pour cadres désoeuvrés, dans tous les sens du terme. Je sais que beaucoup, emmaillotés dans leur prétendue intimité peut-être fabriquée pour la construction de leur nuage d’identité, cherchée désespérément, ne supportent pas ce discours de relativisation de grand complot invisible.
Si j’y reviens aujourd’hui, c’est après avoir lu dans l’excellent site en ligne “nonfiction” (actualités philosophiques et littéraires) que j’ai déjà loué ici (https://www.nonfiction.fr), un article sur la parution d’un “ouvrage fondamental ” (sic) “sur le sens et les conséquences sociétales et politiques de la révolution du numérique”.
Le chroniqueur (IHicham-Stéphane Afeissa) écrit qu’il “est des livres dont l’on sait d’avance qu’il sera difficile de parler parce que les superlatifs feront rapidement défaut.“
Il s’agit d’un bouquin de Shoshana Zuboff, L’âge du capitalisme de surveillance, traduit de l’américain..
Je cite Hicham : “Remarquable, pénétrant, lumineux, brillant, magistral : on épuiserait toute la liste des synonymes qu’on ne réussirait pas à transmettre l’enthousiasme que suscite la lecture d’un tel livre. Le signataire de ces lignes avouera de but en blanc n’avoir rien lu d’aussi fondamental et novateur depuis longtemps, et n’hésitera pas à faire le pari que ce livre sera tenu à l’avenir comme tout aussi important pour la compréhension de l’ère numérique de ce début de XXIe siècle que Les origines du totalitarisme d’Hannah Arendt (d’ailleurs régulièrement citée par Shoshana Zuboff, qui voit probablement en elle un modèle) l’ont été pour les régimes totalitaires du siècle dernier.”
Donc le « capitalisme de la surveillance » que les puissances du numérique ont rendu possible. Capitalisme de la surveillance : l’humain, “matière première gratuite à des fins pratiques commerciales dissimulées d’extraction”
L’auteur, dans un gros livre qui aurait pu faire une page Idées dans Le Monde nous raconte que le numérique est présent partout. Nous ne le savions pas. Il ajoute, évidemment, que tout, par Google, Facebook, malgré les navigations privées, est tracé, stocké, analysé.
Et que nous sommes une matière première. C’est la novation du bouquin, la grande idée qui n’est, en réalité que de l’esbroufe sémantique. L’auteur a du voir des dizaines de fois Matrix. Ca fait très chic la “matière première du capitalisme”
Shoshana Zuboff écrit : « Le capitalisme industriel a transformé les matières premières de la nature en marchandises, et le capitalisme de surveillance revendique la nature humaine pour créer une nouvelle marchandise. Aujourd’hui, c’est la nature humaine qui est raclée, lacérée, et dont on s’empare pour le nouveau marché du siècle. (…) L’essence de l’exploitation ici est la restitution de nos vies sous forme de données comportementales destinées à améliorer le contrôle que d’autres ont sur nous ».
Blabla de mauvaise digestion (c’est moi qui écrit, ici)
Ainsi, comme le note Hicham “les applications apparemment les plus innocentes comme la météo, les lampes de poche, le covoiturage et les applis de rencontres sont infestées par des dizaines de programmes de tracking, permettant de collecter des données personnelles, de créer un profil utilisateur, et de gagner de l’argent en ciblant la publicité sur l’utilisateur. La géolocalisation en temps réel rend possible de savoir en permanence où ce dernier se trouve. Un examen plus minutieux du smartphone révèle même la fréquence avec laquelle il recharge sa batterie, le nombre de textos qu’il reçoit, le moment où il y répond (s’il y répond), le nombre de contacts répertoriés dans le téléphone, la manière dont il remplit les formulaires en ligne, la fréquence avec laquelle il consulte son compte en banque ou encore le nombre de kilomètres parcourus dans la journée. Ces données comportementales (et tant d’autres encore que les utilisateurs déversent généreusement sur Internet) produisent des modèles nuancés qui peuvent prédire avec une assez grande exactitude par exemple la probabilité d’un défaut de paiement ou de remboursement – prédictions de grande valeur pour les compagnies d’assurance qui se les arrachent littéralement. “
Et Shoshana Zuboff d’écrire encore : “Il fut un temps où vous exploriez grâce à Google. Maintenant c’est vous que Google explore »,
Même pas brillant.
Bref, tout à l’avenant. Sur l’intrusion (“l’intrusif” fait, là encore plus chic)
L’article, le commentaire, est long et ennuyeux tant le monde, et ses structures sont vilipendés,comme sur une estrade à1 la Mutualite. Comme dans un nouveau marxisme à l’usage de ceux, théoriciens en berne, qui s’ennuyaient. Le “capitalisme” est de retour. Et sa “matière première” les petits humains et leurs comportements “voilés”. Mieux que Badiou. Y’a de la matière.
Donc, un nouveau “Big Brother”, celui du 1984 d’Orwell est arrivé. Capitaliste, même pas innommé, juste capitaliste. Juste le nom-sésame qui fait vibrer les anciens militants et les adolescents en quête de trotskisme, ici contemporain et lisible puisque “numérique”.
Un “marionnettiste”, que ce capitalisme.
Hicham nous dit que le bouquin qu’il commente “se dévore comme un roman policier”. Et l’auteur du bouquin clame que : « Si nous voulons redécouvrir notre sens de la stupéfaction, que ce soit devant ce constat : si la civilisation industrielle a prospéré aux dépens de la nature et menace à présent de nous coûter la Terre, une civilisation de l’information modelée par le capitalisme de surveillance prospérera aux dépens de la nature humaine et menacera de nous coûter notre humanité. »
Blabla de campus. Presque du Poulantzas , le commentateur marxiste imbuvable des années 70 qui aurait émigré à Harvard, là ou professerait Shoshana Zuboff
Alors que faire ? Lisez, lisez, je n’en crois pas mes yeux de lecteur pourtant souvent indulgent : il faut “s’indigner”, nous dît-on. Vous avez bien lu.
Shoshana conclut que “la conformité induite par la dépendance n’est pas un contrat social » et qu’« une ruche sans issue n’est pas une maison », que « l’expérience sans le refuge n’est qu’une ombre », et qu’« une vie qui ne peut se vivre que cachée n’est pas une vie ». Je n’ai rien compris.
N’est pas Orwell qui veut. Ce discours est lassant, inutile. Dans mon introduction, j’ai déjà dit à quel point ce complotisme généralisé devient une norme de pensée et meuble les conversations qui ne devraient, en réalité, qu’être amoureuses. Les “discussions” stériles sont bien concomitantes de l’ennui. Surtout lorsque l’interlocuteur vilipendeur du Capital, hurlant son “opinion” se prend pour Descartes ou Kant, sans avoir lu un embryon de théorie. Juste écouté France Inter. Le danger ne vient pas des invisibles, lorsque l’on sait maitriser son comportement numérique et qu’on n’en a rien à faire si des petires informations sur notre petite personne viennent dans les serveurs des “capitalistes”.
L’essentiel est ailleurs, peut-être, juste dans un regard ou la carrsse d’une main.
Tout le reste n’est qu’une bouillie de doxa.
Et si l’auteur cite Orwell, il ferait mieux de se référer non pas à 1984, mais à la “Common decency”, à l’existence d’un sens moral inné chez les gens ordinaires. Il écrivait Orwell : « Tout le message de Dickens tient dans une constatation d’une colossale banalité : si les gens se comportaient comme il faut, le monde serait ce qu’il doit être ». et « en dernier ressort, Charles Dickens n’admire rien, si ce n’est la common decency, l’honnêteté des mœurs ».
Il est des moments, comme celui que nous vivons dans lesquels le ridicule ne devrait pas être publié. L’auteur de “L’âge du capitalisme de surveillance” a passé des années à découvrir une réalité évidente, structurelle, qu’il donne à lire dans la boursouflure théorique et le ronflement des mots en suspens qui l’emportent sur une réalité connue qui est plantée dans notre monde, comme un soleil autour duquel l’on tourne, sans aucun pouvoir sur son immutabilité. Sauf celui de savoir qu’il est dangereux de trop s’exposer, sans crème protectrice. La connaissance du danger, s’il est avéré (ce qui n’est pas acquis, tant dans les faits que dans son importance) suffit. En ajoutant une pincée de sens commun et de perception immédiate des choses qui nous entourent.
Un peu de “décence” tant dans la théorisation (inutile, inféconde, bavarde à outrance) devrait s’imposer dans les campus américains et les chroniqueurs français feraient mieux de lire les romans policiers plutôt que de vanter ce qui se lirait comme tel et qui n’est que charabia de circonstance à l’usage des lecteurs de pacotille. Pour encore exister dans un monde théorique qui ne l’est pas, en tentant dans l’abscons et le charabia, de laisser accroire que la difficulté de compréhension suffit a fabriquer de l’idée.
On rêve, encore une fois d’une conversation sans hurlements paranos. Sans remplissage du vide et exacerbation des angoisses. Juste une conversation rieuse.