Le détail de Monsieur Le Pen

Jean-Marie Le Pen

il y a très, très longtemps, très exactement le 13 septembre 1987, j’avais osé lors d’une conversation dans un dîner entre amis dans une Brasserie parisienne, être circonspect sur le branle-bas médiatique peut-être un peu surfait, le jour où Jean-Marie Le Pen avait sorti, idiotement, son fameux “détail de l’histoire” après avoir évoqué les chambres à gaz nazies.

Comme on le sait, cet homme politique avait, à l’occasion d’un entretien sur le négationnisme, d’abord murmuré une interrogation sur les chambres à gaz avant de lancer le mot qui allait rendre toute la France “antifa”, accélérer les adhésions timides au Parti socialiste et ses associations à casquettes de slogan et tee -shirts imprimés. En tout cas fabriquer un “cordon sanitaire” en politique.

Je cite les propos qu’il a tenus :

13 septembre 1987 lors du Grand-Jury RTL – Le Monde, Jean-Marie Le Pen déclare :

« Je ne dis pas que les chambres à gaz n’ont pas existé. Je n’ai pas pu moi-même en voir. Je n’ai pas étudié spécialement la question. Mais je crois que c’est un point de détail de l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale ».

Le propos frôlait le petit antisémitisme, négationniste provincial, français de terroir, repéré et assez “résiduel”, lui, dans la France des années 1980, juste dans la lignée de la littérature de tradition profonde à la manière de Mauriac, pas du Maurras ou du Brasillach, loin de ceux qui prônent, comme désormais dans les territoires perdus, la mort du “juif”, attribut devenu l’insulte suprême, en concurrence avec le “porc”, employé même à l’égard d’un député juif dans les couloirs de l’assemblée par un parlementaire de LFI, un salaud.

À l’évidence Jean-Marie Le Pen se postait dans cette mouvance, celle de Drieu La Rochelle et autres collaborationnistes de la France occupée. Il s’en défendait, n’ayant jamais été vichyste et était peut-être sincère. Plutôt un lecteur de Paul Morand, antisémite chic et talentueux, dans l’amour du verbe qui cherchait ses appuis faciles dans l’excès, paradoxalement feutré.

Vint donc le drame, celui du mot qui allait assassiner sa vie politique et alimenter la vie des partis : « le détail de l’histoire»

En effet, dans la conversation, alors qu’il pouvait intelligemment la clore, le voilà qu’il se met à commenter, ponctuer ou conclure, pour faire le beau, le beau parleur si l’on veut, alors que tous savent que le commentaire superfétatoire de sa propre affirmation, déjà digérée par l’interlocuteur, est la chose la plus dangereuse dans le discours.

Sur un ton péremptoire, d’un air convaincu et donnant presque la leçon, il ajoutait donc, qu’en toute hypothèse, il ne s’agissait que d’un « détail de l’histoire, plus exactement un “un point de détail de l’histoire “, ce qui peut, sémantiquement, bouleverser l’interprétation.

Nous étions à table, avec des amis, à la brasserie Francis, Place de l’Alma, presque tous devant un rognon de veau entier grillé-rosé. J’étais le seul juif dans l’assemblée. Et évidemment le jour même de cette déclaration qui avait été commentée à profusion dans toutes les radios, on m’a posé la question, à moi, juif de service et, partant, porteur d’une prétendue vérité, apte, parce que juif, à défendre mon “peuple” : “M,  qu’en penses-tu ? Quelle ordure ! » On attendait mes cris contre le salaud.

J’ai répondu en m’étonnant de ce grand vacarme, peut-être un peu irréfléchi, de cette mayonnaise montée pour emplir les tribunes (celles des journaux, des radios) et donner du grain à moudre aux petits moralistes d’antan, anti-racistes, SOS sur le torse, dont on sait ce qu’ils sont devenus, désormais vieux valets de LFI, complices des antisémites de nouveau genre, électoraliste.

Cet étonnement dans ma bouche de juif nécessairement porteuse d’un discours téléphoné sur l’antisémitisme qui participait à la fabrique du “juif imaginaire”, avait grandement choqué. Les fourchettes étaient suspendues au-dessus des rognons et tous me regardaient.

C’était donc au grand dam de mes amis, que je m’exprimais, sans corset de censure, justement parce qu’il s’agissait de mes amis, même s’ils s’attendaient à un discours enflammé, intense, structuré sur les mots du fascisme européen et de ces salopards qui perpétuaient la Shoah.

On regrettait un rangement de mes locutions dans l’on ne sait quelle mansuétude, alors que mon petit talent de bon polémiste au mot autant acerbe que juste, aurait pu servir la cause des cordons sanitaires et autres plafonds de verre.

Mais comment oses-tu, M ? Le propos était clair, me criait-on : l‘extermination des juifs n’était qu’un « détail » dans l’histoire de la guerre mondiale. Quelle ordure ! Mais t’as pas entendu ?

Brandissant à demi-mots mon statut d’intellectuel, d’ancien chercheur en sociologie politique à la Sorbonne dans une équipe renommée, analyste de la vie sociale et surtout du discours (posture un peu vantarde, obligée pour l’audition respectée), j’ai osé affirmer que Jean-Marie Le Pen n’avait absolument pas dit ce que tout le monde disait qu’il avait dit.

 Je revenais à mon étonnement : j’avais été surpris par l’interprétation qui avait été abondamment commentée du mot de Jean-Marie Le Pen.

Tous s’étaient jetés sur le mot, tous, sans écouter le tout, affirmaient que que ce petit poujadiste devenu homme politique d’importance, considérait que l’extermination des juifs en Europe, par le régime nazi, était un détail de l’histoire mondiale.

 Pour ce qui me concernait, je considérais qu’il n’en n’était rien; que ce n’était pas ce qu’il avait dit. Qu’il était impossible, même pour un “salaud”, comme ils disaient, de dire ceci. Et que la lecture de ce qui avait été dit, dans son contexte contredisait cette interprétation, salutaire pour forger le discours simpliste antifasciste. Lequel n’avait pas besoin de ces raccourcis pour émerger.

J’étais donc persuadé, peut-être à tort, que Jean-Marie Le Pen n’avait absolument pas voulu émettre cette idée infâme. Son sens inné du discours, au-delà des piètres calembours de chambrée militaire, l’en aurait interdit. L’animal politique sait jusqu’où il faut aller trop loin.

Il s’agissait simplement, dans ce que j’avais compris, de considérer que la manière avec laquelle le régime nazi barbare avait exterminé juifs (et non juifs) n’était pas l’essentiel, n’était pas le sujet et pouvait être éventuellement un détail au regard du centre dans lequel résidait le concept de tuerie nazie; qu’ainsi les chambres à gaz étaient un “point de détail” de l’histoire.

Propos inutile et provocateur certes.

Mais, que l’on tue par balle, par couteau, à mains nues une race dite « inférieure », peu importait le moyen ou la manière qui n’était qu’un détail, au regard de l’idéologie qui sous-tendait le meurtre collectif imaginé par le nazisme. Chambres à gaz ? Tuyaux de C02, Baïonnette ? Les instruments de la mort n’étaient que détail au regard de la mort programmée dans cette histoire de la seconde guerre mondiale. Elles (la mort et l’idéologie) n’étaient pas “détail”.

C’est comme cela que j’avais, en direct, entendu Le Pen que pourtant je ne chérissais pas, surtout lorsque je me souvenais des nervis, qui le saluaient comme le chef, à l’entrée contrôlée de la Fac de la rue d’Assas que j’avais pu fréquenter.

Certes l’mage d’un rassemblement sous le gaz des victimes était accablante pour l’esprit, générait la furie dans l’imagination. Mais ce qui était crucial dans la vision et l’image, dans la sensation, au sens de Kant ou de Hume, devenait un détail lorsqu’on allait à l’abordage du concept déchirant, inouï, central, de l’extermination élaboré par le nazisme, et de la banalité du mal, théorisée par Hannah Arendt qui était un vrai nœud du débat, d’un vrai débat, au-delà des moyens pratiques que se donnait la barbarie pour se mettre en œuvre.

C’était ma conviction et ça l’est encore maintenant.

 Je ne comprends pas qu’encore aujourd’hui, nul n’ose (de peur d’être interdit d’antenne ?) poser la question du “détail”, engrangeant, sans sourciller les “banalités” qui courent dans les ondes, (y compris celles qui ne sont pas du service public désormais disqualifiées dans l’analyse, qui laissent au surplus, sans réaction, insulter un mort).

Je ne comprends pas que personne ne puisse, sans être taxé de nazi fasciste anti-je ne sais quoi, émettre cette simple hypothèse : Jean-Marie Le Pen était certes un peu ou beaucoup (peu importe) ou pas du tout antisémite.

Cependant, son propos sur le détail ne se concentrait que sur la technique (ici la chambre à gaz) inénarrable dans le récit de la violence humaine, mais qui n’était que le succédané, le point de détail et certainement pas sur la Shoah qui ne pouvait être considérée comme un détail de la guerre mondiale.

La manière par laquelle l’on tue est un point de détail au regard de l’assassinat, même si elle révèle, justement, la haine en marche. Et ce qu’il faut retenir dans l’histoire de la guerre, au-delà des chambres à gaz, c’est un fait qui n’est pas de détail : la barbarie humaine, nazie a assassiné 6 millions de juifs parce qu’ils étaient juifs. C’est le centre au regard de la technique, elle, périphérique (de détail).

C’est ce que j’avais retenu.

 J’ai encore aujourd’hui le courage d’affirmer cette thèse même si, je le répète, les postures et l’idéologie de Jean-Marie Le Pen sont bien loin de mes convictions, ses calembours abjects, sa raideur idéologique exaspérante.

Meme si, sans en avoir honte, je peux, pour aggraver mon cas, considérer comme étant assez visionnaire son propos sur l’invasion d’une culture étrangère à la France qui veut la mettre sous son joug.

Cete volonté n’est pas un détail de l’histoire de l’Occident. Au regard de cet objectif qui est un essentiel, l’emploi d’un couteau, d’une bombe, aussi atroces que puissent être les flaques de sang et les corps déchiquetés, ne sont que des détails (techniques) qui corroborent la vision du diable devant soi. Et ce, à l’inverse de l’abaya ou du djihab lesquels, eux, pourtant de simple matière, coupés dans un tissu, sont tout sauf des détails. Comme veulent nous le faire croire les culturalistes américains et les prétendus partisans de la liberté de la femme, y compris celle de porter ce qu’elle veut, au grand profit de ceux qui les y obligent. Lesquels les emprisonnent ou les lapident lorsqu’elle n’usent pas de cette “liberté” obligée.

Mais c’est un autre débat, peut-être plus crucial, plus nodal que celui du détail lepénien, lequel, sauf erreur. n’a tué personne.

MB.

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