Maria Helena Vieira da Silva

le paysagisme abstrait

Maria Helena Vieira da Silva

  • Naissance: 13 juin 1908 Lisbon, Portugal  
  • Décès  6 mars 1992

Article WikipediaLes références

Maria Helena Vieira da Silva, née à Lisbonne le 13 juin 1908 et morte à Paris le 6 mars 1992, est une artiste peintre portugaise appartenant à l’École de Paris.

Son style pictural propose un espace qui combine réseaux et mosaïques dans des compositions aux perspectives fuyantes. Elle est considérée comme l’un des chefs de file du mouvement esthétique dit du paysagisme abstrait.

À l’âge de onze ans, Vieira da Silva commence l’apprentissage du dessin et de la peinture à l’Académie des beaux-arts de Lisbonne. Avant l’âge de vingt ans, elle étudie la peinture avec Fernand Léger, Charles Dufresne, Henry de Waroquier, la sculpture avec Antoine Bourdelle, et la gravure avec Stanley Hayter et Johnny Friedlaender, tous des maîtres dans leur discipline. Elle crée aussi des œuvres textiles (tapisseries) et céramiques (vitraux).

Elle s’installe en France en 1928, où elle se marie en 1930 avec le peintre d’origine hongroise Árpád Szenes ; elle est naturalisée en 1956.

En 1930, elle expose ses peintures à Paris. Après un bref séjour à Lisbonne et une période passée au Brésil durant la Seconde Guerre mondiale, elle vit et travaille en France, principalement à Paris, le reste de sa vie. Elle meurt dans cette ville à 83 ans.

Première femme à être ainsi distinguée, Vieira da Silva a reçu le grand prix national des arts du gouvernement français en 1966.

À la fin des années 1950, Vieira da Silva a acquis une renommée internationale pour ses compositions denses et complexes, influencées par Paul Cézanne, avec ses formes fragmentées, ses ambiguïtés spatiales et une palette de couleurs restreinte issue du cubisme et de l’art abstrait. Ces linéaments empruntés au monde réel et intégrés à une pratique picturale de tendance non figurative constituent certains des éléments caractéristiques de la définition du paysagisme abstrait, mouvement plastique à la tête duquel elle s’est rapidement retrouvée.

Elle est considérée comme un des plus importants artistes de l’art abstrait d’après-guerre bien que sa peinture ne soit pas purement abstraite. Ses œuvres axées sur les lieux de passage comme les ports, les carrefours, les rues, les gares (Gare Saint-Lazare, 1949), rideaux, fenêtres ou portes où tout s’emmêle, où rien ne commence rien ne finit, où progressivement l’angoisse émerge au fil du temps, ressemblent souvent à des villes labyrinthiques ou à des rayonnages de bibliothèque, allégories d’une quête éternelle de connaissance et d’absolu.

Vieira da Silva a exposé ses œuvres dans de nombreux endroits à travers le monde et a gagné un prix de peinture à la biennale de São Paulo en 1961.

En 1988, une exposition personnelle est présentée au Grand-Palais à Paris. Vieira da Silva est la première femme peintre à connaître une manifestation de cette envergure de son vivant.

En novembre 1994 est inaugurée la Fondation Árpád Szenes-Vieira da Silva à Lisbonne qui expose une importante collection des deux artistes.

Elle a fait partie des peintres réunis pour l’exposition « L’envolée lyrique, Paris 1945-1956 » présentée au musée du Luxembourg (Sénat) en avril-août 2006 (La Ville de Sindbâd, 1950 ; Le Port, 1953, du musée de Cologne ; Composition 1955, 1955).

— René Char (1960)

Suite : Maria Helena Vieira da Silva

1908 — Lisbonne, Portugal | 1992 — Paris, France

Informations

Peintre française.

La ville règne sans partage sur la vie et l’œuvre de Maria Helena Vieira da Silva : Lisbonne, le berceau des origines, où, enfant, elle apprend la solitude, l’observation, la contemplation ; Paris, la capitale d’élection, où elle s’établit en 1928 et rencontre la galeriste Jeanne Bucher qui fait connaître son œuvre, et le peintre hongrois Árpád Szenes, compagnon d’une vie ; Rio de Janeiro enfin, la ville de l’exil, que tous deux rejoignent en 1940 – pour retrouver Paris sept ans plus tard. À cette topographie se joignent, dans sa peinture, les villes de passage et les cités imaginaires. Lieux et objets de son enfance influencent un monde intérieur dont sa création picturale rendra témoignage : des bibliothèques et des théâtres, des partitions de musique et des jeux d’échecs, des passages pavés d’azulejos et les dentelles de fer de quelque architecture parisienne. Que son motif premier soit une nature morte, une chambre déserte ou une capitale bruyante, sa peinture adopte volontiers la forme du dédale : un réseau en toile d’araignée, un damier distordu, où l’œil erre, se perd, s’assombrit ou s’éclaire. Ce réseau, que l’on peut comprendre comme une métaphore de la réflexion, demeure fondamentalement une exploration de la perception.

Née à Lisbonne en 1908, Maria Helena Vieira da Silva s’est très tôt « réfugiée dans le monde des couleurs », une inclinaison qu’elle réaffirme à nouveau à la fin de années 1980 dans son Testament pictural :

« Je lègue à mes amis
Un bleu céruléum pour voler haut
Un bleu de cobalt pour le bonheur
Un bleu d’outremer pour stimuler l’esprit
Un vermillon pour faire circuler le sang allègrement
[…] Un jaune d’or : richesse […]
Un jaune baryte : science-fiction, brillance, éclat
Un ocre jaune pour accepter la terre […]
Un orange pour exercer la vue d’un citronnier au loin
Un jaune citron pour la grâce »

Maria Helena Vieira da Silva s’est très tôt familiarisée avec l’art grâce à son grand-père, fondateur du journal lisboète O Século. Après des études à l’Ecole des Beaux-arts de Lisbonne, elle quitte son pays natal pour Paris, en 1928, où elle poursuit sa formation à l’Académie de La Grande Chaumière, suit les cours de Fernand Léger, de Bourdelle ainsi que ceux de l’Académie Ranson. Elle rencontre à cette époque son futur mari, le peintre hongrois Árpád Szenes. Initiée aux nouveaux courants artistiques de l’Impressionisme, du Futurisme et Cubisme ainsi qu’à la sculpture, elle se consacre, dès 1929, essentiellement à la peinture, et cherche son propre style, par le regard et l’expérimentation, revendiquant de ne vouloir appartenir à aucun courant précis. Les recherches spatiales de l’Ecole de Sienne ainsi que la perspective l’enthousiasment tout comme la découverte de Cézanne et ses Joueurs de cartes dans leur continuité spatiales qui lui donnent « la clef pour passer derrière le mur apparemment sans issue ». La collaboration avec Jeanne Bucher débute en 1933, avec la parution de l’édition Kô & Kô. A cette époque, Vieira da Silva s’intéresse à des perspectives inhabituelles construites autour d’un point de fuite où l’espace joue un rôle primordial. Elle va ensuite le construire par la couleur et les formes en losanges, rappelant les azulejos portugais, créant un réseau structuré « où les personnages se promènent, montent, descendent » dans une maille spatiale. Elle entend par la perspective, « parvenir à suggérer un espace immense dans un petit morceau de toile » en créant un espace propre. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Vieira da Silva et son mari partent au Portugal, puis s’exilent au Brésil, avant de rentrer à Paris en 1947. A son retour, l’Etat français initie une politique d’acquisitions de ses œuvres. Naturalisée française en 1956, Vieira da Silva a reçu de nombreux prix, tant portugais que français, dont le Grand Prix National des Arts en 1966. Elle est ensuite nommée Chevalier de la Légion d’honneur en 1979 et reçoit la Grande Croix de la Liberté au Portugal dans les années 80.

Les perspectives infinies de ses compositions se lisent toujours comme la manifestation d’une essentielle exploration de l’espace, de ses recoins et de ses liens, qu’ils soient intimes comme des chambres ou lointains comme des couloirs étirés. À partir d’une convergence de lignes tissées en réseaux, elle invite l’œil à identifier des images émergentes puisant leur source dans ses souvenirs et son sens intuitif du motif et du rythme. L’espace psychologique que crée cette représentation fragmentée de la réalité capte la façon dont l’esprit retient et remodèle les souvenirs : il ne renvoie pas seulement à sa vie à Paris, mais aux expériences sensorielles de son enfance à Lisbonne, célèbre pour ses rues pavées de losanges, la calçada portugaise. Bien qu’elle entretienne un sens de la profondeur de l’espace et des perspectives au moyen d’une structure et d’un ordre sous-jacents, Vieira da Silva se plaît à brouiller la frontière entre représentation et abstraction, de sorte que les surfaces évocatrices de pièces, de maisons, de gares connues, de ponts traversant ou de vues urbaines aériennes ne décrivent jamais totalement un seul lieu ou panorama, mais un enchevêtrement de lieux visités. Vieira da Silva peint certainement son étonnement d’être un être vivant, de bouger, de persévérer, de s’ouvrir à la lumière et à l’échange avec tout ce qui l’entoure. Dans la croissance des tissus organiques de ses tableaux, où les lignes se croisent et se recroisent, elle découvre toujours de nouvelles issues de lumière, ce vide/plein, cette destination de présence inconnue qu’elle explore depuis le début de son œuvre et, plus particulièrement, dans ses œuvres des années 70 à 90, où une trajectoire ascensionnelle se fait plus évidente, comme si notre vie s’apparentait à un chemin de traverse dont on était soi-même l’architecte, l’ingénieur et le concepteur, évoluant au sein d’une réalité où la multiplication des points de vue fait vaciller les certitudes au gré d’un parcours labyrinthique où l’artiste est seule détentrice du fil d’Ariane. Son incertitude devient une certitude où ce qui la guide est l’innovation et l’exigence d’une quête métaphysique et spirituelle profonde. Les toiles des dernières années se libèrent de toute structure comme pour mieux sonder la lumière, cette clarté lumineuse qui se trouve au-delà du miroir de la vie.

Vieira da Silva décède à Paris en 1992, deux ans après la création de la Fondation Árpád Szenes – Vieira da Silva à Lisbonne et juste avant l’inauguration du Musée qui abrite ses œuvres et celles de son mari. L’artiste sera fidèle, promue et défendue toute sa vie et encore aujourd’hui par la Galerie Jeanne Bucher Jaeger : Jeanne Bucher l’a fait connaître à ses débuts, Jean- François Jaeger a assuré la promotion de l’oeuvre de 1947 à 2003, et, depuis 2004, sa Présidente Véronique Jaeger, ayant été notamment co-commissaire des expositions commémoratives des dizième et vingtième anniversaires de la Fondation lisboète, poursuit cette mission en participant depuis 2004 à d’innombrables expositions, tant en France qu’à l’International. Exposées dans le monde entier, ses œuvres figurent aujourd’hui dans les collections des plus grandes institutions et Fondations privées internationales ; aux États-Unis, celles du MoMA (premier acquéreur de son œuvre) et du Guggenheim à New York, de la Phillips Collection à Washington, du San Francisco Museum of Modern Art et de l’Art Institute à Chicago ; en France au Centre Pompidou-Mnam et du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, des musées de Dijon, Marseille, Colmar, Nantes, Metz, Rouen, Lyon, Grenoble, du Musée Stedelijk à Amsterdam, de la Tate Modern à Londres, de la Gulbenkian à Lisbonne, du Musée de Bâle en Suisse… En 2019, la galerie conçoit avec deux confrères une exposition itinérante historique entre Paris, Londres et New York. En 2022-2023, dans le cadre de la Saison-France Portugal, le musée des Beaux-Arts de Dijon et le musée Cantini de Marseille, en partenariat avec la Galerie Jeanne Bucher Jaeger, organisait une rétrospective intitulée Vieira da Silva, L’œil du Labyrinthe ; cette rétrospective rassemblait plus de 80 œuvres iconiques dans le cheminement de l’artiste, provenant d’institutions prestigieuses.

En 2023-24, le Musée Mohammed VI d’art moderne et contemporain de Rabat, en collaboration avec la Fondation Árpád Szenes – Vieira da Silva à Lisbonne, organise, pour la première fois au Maroc, une exposition majeure dédiée au couple Maria Helena Vieira da Silva et Árpád Szenes, intitulée Une histoire d’amour et de peinture. Dans le cadre des commémorations du Cinquantenaire de la Révolution des Œillets au Portugal, Vieira da Silva est choisie par l’Etat Portugais comme la figure artistique officielle symbolisant la notion d’universalisme et de liberté. Une exposition intitulée A nos a Liberdade (A nous la Liberté), rassemblant une trentaine de peintures majeures, est inaugurée le 23 avril 2024 au Palais Sao Bento de l’Assemblée de la République à Lisbonne jusque fin juillet 2024 : on peut notamment y voir les deux œuvres réalisées par Vieira da Silva avec Sophia de Mello Breyner Andresen intitulées A Poesia esta na rua (la Poésie est dans la rue) célébrant la Révolution des Œillets. La Galerie Jeanne Bucher Jaeger organise une présentation d’œuvres majeures à l’occasion d’Art Paris début avril 2024, et le Théâtre de la Ville de Paris présente une quinzaine de reproductions de peintures essentielles de Vieira da Silva, placées dans l’entrée du Théâtre durant près d’un mois, à l’occasion des commémorations de la Révolution des Œillets rendant ainsi hommage à une artiste ayant toujours placé les valeurs de liberté et d’universalisme au cœur de son œuvre.

En 2024-25, Maria Helena Vieira da Silva est présentée dans l’exposition InformELLES: Women Artists and Art Informel in the 1950s/60s à Hessen Kassel Heritage, Kassel en Allemagne.

Les labyrinthes de couleurs de Maria Helena Vieira da Silva

  • Arts et Expositions
  • Par Myriam Boutoulle le 13.02.2020mis à jour le 19.11.2020

Connaissance des arts

Maria Helena Vieira da Silva, Le Jeu de cartes, 1937, huile sur toile et traces de mine de plomb, 73 x 92 cm Courtesy galerie Jeanne Bucher Jaeger, Paris.

Exécuté en 1937, Le Jeu de cartes révèle la maîtrise plastique de l’artiste d’origine portugaise Maria Helena Vieira da Silva, alors âgée de 29 ans. Dès lors, elle fera de la perspective, non pas le moyen, mais le véritable sujet de toute représentation.

Trois galeries internationales se réunissent pour faire rayonner à nouveau l’œuvre de la peintre Maria Helena Vieira da Silva (1908-1992) qui allie compositions semi-abstraites et poésie. Les galeries Jeanne Bucher Jaeger à Paris, Waddington Custot à Londres et Di Donna à New York organisent une exposition itinérante d’une quarantaine de peintures et d’œuvres sur papier de cette artiste d’origine portugaise, naturalisée française en 1956, dont les œuvres sont conservées dans les plus grands musées, tels le Guggenheim de New York, la Tate Gallery de Londres ou le Centre Pompidou à Paris. Ponctuée de prêts de pièces emblématiques de l’artiste, cette exposition commerciale entend réévaluer « cette œuvre d’une contemporanéité évidente, qui évoque des espaces en réseau », selon la galeriste Véronique Jaeger, de la galerie Jeanne Bucher Jaeger. Présentée à la galerie Waddington Custot à Londres jusqu’au 29 février, elle partira ensuite pour New York, chez Di Donna Galleries, du 26 mars au 29 mai 2020.

Une artiste réfugiée dans un monde de couleurs et de symboles

Née à Lisbonne en 1908, Maria Helena Vieira da Silva s’est très tôt « réfugiée dans le monde des couleurs », une inclinaison qu’elle réaffirme à nouveau à la fin de années 1980 dans son Testament pictural :

« Je lègue à mes amis
Un bleu céruléum pour voler haut
Un bleu de cobalt pour le bonheur
Un bleu d’outremer pour stimuler l’esprit
Un vermillon pour faire circuler le sang allègrement
[…] Un jaune d’or : richesse […]
Un jaune baryte : science-fiction, brillance, éclat
Un ocre jaune pour accepter la terre […]
Un orange pour exercer la vue d’un citronnier au loin
Un jaune citron pour la grâce »

Dans l’huile sur toile intitulée Le Jeu de cartes (1937), le peintre donnait déjà un avant-goût de ce poème en une œuvre chatoyante, « dans l’éclairage d’une solarité rayonnante », selon l’expression de Jean-François Jaeger, ancien directeur de la galerie Jeanne Bucher Jaeger. Maria Helena Vieira da Silva y multiplie les variations sérielles de plusieurs formes : carreau, cœur, pique, trèfle, valet, dame, roi. Démultipliés, déformés au gré de son imagination, ces signes changent progressivement d’aspect : le carreau s’étire et devient losange, les piques et les cœurs s’accumulent, les figures des cartes se répercutent tête-bêche en images stylisées comme dans un miroir déformant, se simplifiant en pictogrammes.

Maria Helena Vieira da Silva, Le Jeu de cartes, 1937, huile sur toile et traces de mine de plomb, 73 x 92 cm. Courtesy galerie Jeanne Bucher Jaeger, Paris.





Ce ballet de symboles et de figures est supporté par une trame dynamique en forme de damier, véritable grille de couleurs. Des carreaux qu’elle a découverts dans les nappes des œuvres de Bonnard et dans ses femmes au bain, en particulier Nu dans le bain de 1936, qui s’inscrit chronologiquement entre ses tableaux La Chambre à carreaux de 1935 et Le Jeu de cartes de 1937.
Entre abstraction et figuration, Maria Helena Vieira da Silva exploite aussi librement le souvenir des azulejos de Lisbonne, dont elle est imprégnée. Elle déclarera du reste en 1978 à Anne Philipe, dans le livre d’entretiens L’éclat de la lumière « Au Portugal, on trouve beaucoup de petits carreaux de faïence, des azulejos, le mot vient d’azur, parce qu’ils étaient bleus. Ils sont un motif de décoration traditionnel dans les vieilles maisons. Cela aussi m’a influencée. Enfin cette technique donne une vibration que je recherche et permet de trouver le rythme d’un tableau. »

Au-delà de Mondrian : la perspective chancelante

Musicienne qui travaille en écoutant Haydn ou Mozart dans son atelier parisien en compagnie de son mari artiste Árpád Szenes, Maria Helena Vieira da Silva expérimente des espaces animés de petits carreaux à partir de 1935, date à laquelle la question de la perspective focalise son attention. Elle revient alors d’un long voyage en Italie où elle a découvert les grands maîtres siennois et leurs fresques, entre autres celles de Lorenzetti, dont la perspective la fascine. Dès lors, elle se concentre sur la mise à l’épreuve des règles classiques à l’intérieur d’un schéma constant, celui de la chambre close, qui doit aussi aux intérieurs métaphysiques de De Chirico.
« Pourquoi faites-vous la perspective ? », lui demandera un jour le peintre Wols. « Je savais que cela ne se faisait pas dans l’art moderne mais il fallait que je le fasse quand même », répondra-t-elle. Mais, bien loin d’une perspective illusionniste, on retrouve dans Le Jeu de cartes un réseau de courbes perspectives qui vont se resserrant, dans un mouvement ondulatoire. Au lieu de se creuser, l’espace s’incurve. « Si j’ai utilisé ces petits carreaux, cette perspective chancelante (c’est moi qui la qualifie ainsi), c’est parce que je ne voyais pas l’intérêt de poursuivre Mondrian ou un autre. Je voulais quelque chose d’autre. Je voulais que les gens ne soient pas passifs. Je voulais qu’ils viennent, je voulais qu’ils participent aux jeux, qu’ils se promènent, montent, descendent… », dira l’artiste de l’École de Paris en 1990.

Jeux de hasard

Mais à quel jeu se livre-t-elle donc ? Interrogation sur le hasard et la destinée, Le Jeu de cartes donnera plus tard naissance aux toiles La Partie d’échecs en 1943 et à Échec et mat en 1949-50. « Vieira da Silva nous entraîne dans un jeu où elle ne cesse de rebattre les mêmes cartes pour aller, toujours, y puiser du nouveau », écrit l’historien d’art Pierre Wat dans le catalogue de l’exposition. Ses espaces semi-abstraits tels que La Scala (1937) ou Le Ballet (1946) en témoignent, invitant le spectateur à explorer tous les points de vue, selon la « vision multiple et une » dont parle son ami le poète René Char. Plus encore, s’interrogeait la critique d’art Dora Vallier en 1971, « ne faut-il pas voir en ce Jeu de cartes la préfiguration littérale de la peinture de Vieira da Silva, l’image déjà en place de l’ouverture sans issue, dénommée labyrinthe, qui en sera l’emblème ? ».



 

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