articles

Claude Levi-Strauss. la rupture de 1971

L’on considère Claude Lévi-Strauss comme l’un des plus grands. Ce n’est pas d’une originalité folle. Mais il n’est pas inutile de le répéter, sans en rester à ses “Tristes Tropiques”, journal de voyage, joliment écrit, surtout dans son introduction, dont les paresseux et les faiseurs (qui sont d’ailleurs souvent les mêmes) ne retiennent que le fameux “je hais les voyages”.

Un récent petit billet de Michel Etchnaninoff (Philomag) nous rappelle les soubresauts dans la pensée du Maitre.

On se souvient tous du “Race et histoire” publié en 1951. Il s’agissait d’un discours à l’UNESCO et CLS s’en prenait magnifiquement aux fondements du racisme. En 1971, il revient à la Tribune du même organisme (sur lequel l’on remarquera que, curieusement, je ne porte aucun jugement alors que je devrais). Et là, il nous dit, contrairement à ce qu’il prônait, que la collaboration entre  les cultures n’est pas la panacée.

EXTRAITS DE RACE ET HISTOIRE :  « Les sociétés humaines ne sont jamais seules », les « migrations, emprunts, échanges commerciaux, guerres », constituent un facteur de développement qui soit. « l’exclusive fatalité, l’unique tare qui puissent affliger un groupe humain et l’empêcher de réaliser pleinement sa nature, c’est d’être seul ».  Le métissage, le bienfait de la mondialisation se trouvaient dans le texte dont tous les anti-racistes se sont emparés.

En 1971, dans son discours publié sous le titre “Race et Culture”, il fait cOr  marche arrière.

EXTRAITS DE RACE ET CULTURE  « les bouleversements déclenchés par la civilisation industrielle en expansion, la rapidité accrue des moyens de transport et de communication » entraînent « l’humanité vers une civilisation mondiale, destructrice des vieux particularismes auxquels revient l’honneur d’avoir créé les valeurs esthétiques et spirituelles qui donnent son prix à la vie ». « toute création véritable implique une certaine surdité à l’appel d’autres valeurs ». On ne peut donc « se fondre dans la jouissance de l’autre ».

Tout sauf le métissage…

L’explication de de chamboulement dans la pensée qui passe de l’apologie du métissage à la peur de la fusion mondiale ?

On y revient dans un autre billet.

Billet de Michel Etchnaninoff clic ici

anthropocène, holocène

Les concepts, lorsqu’ils se terrent dans un mot exotique ou inédit peuvent ressortir du snobisme de fins de soirées mondaines. Ils peuvent aussi être féconds. Celui proposé ici (“anthropocène”) est de ceux que beaucoup ne connaissent. Peut-être du fait de sa fécondité qui va à l’encontre de l’opinion dominante en matière d’écologie, laquelle, comme chacun sait, confine au terrorisme.

Il s’agit,  je cite  : “Du grec anthropos (« humain ») et kainos (« récent »), l’Anthropocène désigne la nouvelle ère géologique dominée par les humains qui seraient devenus, au travers de l’impact de leurs activités sur les sols, les airs et les mers, une force géologique à part entière. Faisant suite à l’Holocène qui désigne la période postglaciaire de réchauffement qui court sur les dix à douze mille dernières années, l’Anthropocène marque ce moment où les hommes sont devenus les artisans et non plus seulement les habitants de la Terre. (Martin Legros. Philosophie Magazine. Avril 2015)”

Le concept a donc à été inventé par Paul Crutzen, un ingénieur hollandais. La notion n’est aucunement ancrée dans le catastrophisme ambiant,  celui qui fait de l’homme le grand salaud de l’humanité qui détruit la bonne Gaïa,  notre terre à tous. Il ne s’agit que d’une ère,  de l’un des très nombreux épisodes de reconfiguration géologique que la Terre a connus au long d’une histoire chaotique: l’homme, devenu maitre de la nature n’est pas accusé de déstructurer l’équilibre naturel.

Crutzen : «Une très ancienne idée – l’homme comme maître de la Terre – est devenue une dure réalité»

En réalité, ce concept qui objective l’histoire géologique, sans infuser un moralisme de rez-de-chaussée nous fait comprendre que l’homme ne doit pas tout arrêter, tout “suspendre”. Non, justement maître de la nature, il se doit de la dominer encore plus, pour la sauver, utiliser notre pouvoir pour l’utiliser positivement, avec tous nos immenses moyens technologiques. Y compris manipuler le climat, qui ne devrait plus être un sujet tabou, en larguant, par exemple un million de tonnes de soufre ou de sulfure d’hydrogène dans la stratosphère à l’aide de ballons lancés depuis les tropiques. L’on est loin des sempiternelles plaintes contre l’homme qui a détruit la nature, la gaia, ancien havre de paix. Loin de l’écologie à quatre sous.

Comme le précise Martin Legros dans l’article précité

“La leçon que tire Crutzen de l’entrée dans l’Anthropocène est donc différente de celle de la plupart des écologistes : c’est un appel philosophique audacieux à s’approprier pour de bon la nature. Pendant des millénaires, les hommes se sont comportés comme des rebelles contre une superpuissance appelée “Nature”. […] Quoique de façon maladroite, nous prenons le contrôle du Royaume de la Nature, depuis le climat jusqu’à l’ADN. […] Une très ancienne idée religieuse et philosophique – les hommes comme maîtres de la planète Terre – est devenue une dure réalité […]. Les très anciennes barrières entre la nature et la culture s’effondrent. Ce n’est plus nous contre la “Nature”. C’est nous qui décidons ce qu’est la nature et ce qu’elle sera. Pour maîtriser cet énorme changement, nous devons transformer la manière dont nous nous percevons nous-mêmes et notre rôle dans le monde… Souvenez-vous : dans cette nouvelle ère, la Nature, c’est nous. »

Il est temps de revenir à nous, sans nous laisser emportés par les vendeurs de catastrophe.“

Autres sources :

`Wikipédia : ici Un article intéressant du monde : ici Un article de la revue “Ecologie et politique” : ici

 

 

Le diable, l’inconscient, le gène, l’autoroute

Le titre est énigmatique, comme il se doit, pour attirer le lecteur. Même s’il correspond à une réalité. Celle de l’histoire des causes de la démence. L’on a d’abord considéré que le diable n’y était pas étranger. Puis Freud a comblé l’intellectualisme en inventant (plus qu’en découvrant disent les mauvais esprits) l’inconscient. Nous est imposé désormais un débat entre freudisme et génétique, le gène expliquant tout. Mais ce n’était pas terminé : désormais c’est la pollution qui est cause de démence. Et ceux qui logent près des autoroutes ont des chances d’y sombrer…C’est ce que nous révèle un article du Monde daté de ce jour (ici). On est rassuré, on ne vit pas à 50 m d’une autoroute…

Phratrie, pas fratrie

J’aime bien l’idée d’une fratrie …deux termes, cette fois parfaitement homonymes, qui ne doivent pas être confondus. Fratrie est un dérivé savant du latin frater, « frère » Phratrie, plus rare, ressortit d’abord au vocabulaire des institutions grecques : il est emprunté du grec phratria, qui désignait une association de citoyens liés…

263Imaginez un lendemain de soirée magique, celle, rare, où des êtres rient, pensent, boivent, mangent, et rient encore, heureux d’être là, simplement là. Ce lendemain, les mails fusent, tous écrivent à tous. Ils étaient 6. L’un d’entre eux (évidemment une femme) écrit (c’était le 3 Avril 2016) :

Que pensez vous de mon analyse de nos rapports et de notre affection ? J’aime bien l’idée d’une fratrie (et bien sûr , mon féminisme rampant m’oblige à ajouter et d’une sororité 🙂 partagées ….Encore une super  soirée, merci aux Co qui font des merveilles culinaires gustatives et dont on ne sait qui, de l’accueil ou de la cuisine, surpasse l’autre 🙂 Et si H… et M… ont du temps, je leur conseille de regarder en replay l’émission de J.E de ce matin (S m’a appelé pour me dire de la regarder) sur les “eirout” ou un nom comme ça et une pratique dont ni S ni moi n’avions jamais entendu parler de notre vie et qui perdure de nos jours ! Complètement dingue d’après moi …. Et invitée d’E absolument remarquable ….Passez un bon et beau dimanche ensoleillé, et n’oubliez pas le 23 chez les M… 🙂 Je vous embrasse fraternellement et zut alors, pourquoi il n’y a pas d’adverbe au féminin????”

L’un d’entre eux (évidemment un homme) répond :

“Salut à tous. OUI, super soirée,  à nouveau. Cuisine de chef, sourires comme des accolades,  rires tonitruants,  des foudres d’affection. Du tonnerre si j’ose dire…Puis-je vais rassurer Dy…. et le mettre en phase avec sa proposition (la nomination de la fratrie et sa réflexion acide sur le machisme grammatical). En effet,  il suffit d’écrire PHRATRIE et non FRATRIE et le tour est joué : Je colle ci-dessous un extrait de notre livre de chevet à tous (commentaires de L’académie française sur ce qu’il ne faut pas dire)

“Voici deux termes, cette fois parfaitement homonymes, qui ne doivent pas être confondus. Fratrie est un dérivé savant du latin frater, « frère » ; il appartient à l’origine au vocabulaire de la démographie et désigne l’ensemble des frères et sœurs d’une même famille. Phratrie, plus rare, ressortit d’abord au vocabulaire des institutions grecques : il est emprunté du grec phratria, qui désignait une association de citoyens liés par une communauté de rites et appartenant à la même tribu. Ce terme a été repris par la suite par les anthropologues pour désigner un ensemble de clans qui se disent apparentés. Phratia est dérivé de phratêr, « membre d’un clan », et non pas « frère biologique ». Pour évoquer cette dernière notion, les Grecs avaient d’autres mots, parmi lesquels adelphos, « frère », et adelphé, « sœur », qui signifiaient proprement « (nés d’) un seul utérus ». 

Donc, Dy…,  après avoir lu cet extrait,  il suffit d’écrire PHratrie avec un PH pour constituer un clan sans structuration biologique. Ce qui revient à ton” recomposé “. Association d’individus membre d’un clan qui s’affirment apparentés,  pour former la fratrie, pardon la phratrie.. Je vous embrasse phraternellement…M”

Le tour était joué. Naissance d’une phratrie.

Ils rient et rient encore.

 

Compatibilistes

Vous savez quoi ? Je suis fatigué de ces interrogations. Je ne sais d’où est tirée ma réputation. Tous croient que je ne crois pas à la liberté et au “libre-arbitre”, que ma connaissance de Spinoza est “incompatible” avec cette croyance, alors que je dis, ce qui est autre chose qu’il s’agit d’une illusion nécessaire dans certains champs, et pas tous, et que celui qui sait la manier est l’homme le plus libre du monde, le plus heureux, ce qui n’est pas peu dire à une époque ou nul n’ose dire son bonheur devant un mot, un discours, une peau , un ciel, un gâteau au miel.

Et que la nécessité (la vraie liberté qui consiste à persévérer dans son être) est la plus belle des libertés.

C’est mon amie psychanalyste qui m’a encore appelé aujourd’hui et sans même prendre de mes nouvelles, m’a demandé si, en matière de liberté, je connaissais les “compatibilistes”. J’ai ri. Elle a d’abord cru que je me moquais de son ignorance. Puis, en bonne psychanalyste, n’a pas cru à mon rire. C’est ce qu’elle m’a dit et je n’ai pas répondu car je ne parle jamais de moi avec ces psy, ces empêcheurs de tourner, dans une ronde légère, autour d’un bonheur simple.

Mais oui, je connais ces compatibilistes.

A ceux qui prétendent que notre liberté est ultime, que nos intentions n’auraient ni déterminants ni sources antérieures, ils rétorquent, en critiquant aussi les “déterministes” que la liberté n’est rien de plus que le pouvoir d’agir en fonction de raisons, et “selon ce que nous jugeons le plus important”. Ces conceptions sont souvent appelées « compatibilistes », parce qu’elles considèrent que le déterminisme en général et le fait que nos décisions soient le produit d’influences extérieures sont compatibles avec l’idée de liberté.

Donc Spinoza “compatible” avec Sartre ou Kant, ou Sartre et Kierkegaard.

J’ai continué de rire et elle m’a raccroché au nez quand je lui ai dit que son intelligence était incompatible avec sa bêtise. Qu’ai-je donc dit de méchant ? il va falloir que je continue, même avec mes amis, à me taire. Même quand je parle.

Je ne suis pas inquiet. Dès ce soir, je vais avoir droit à un mot d’excuse et, dès demain, à une autre conversation. Elle est intarissable sur la futilité théorique, persuadée que je vais l’aider à solidifier le sable. Alors que ce beau matériau doit persévérer dans son être, donc dans sa fluidité.

Compatibilistes… Le mot sonne faux. Il y a des mots dont l’on sait immédiatement qu’ils sont faux. Là, je n’exagère pas. Essayez de le taper sur un clavier : il y aura toujours une lettre de plus ou de moins…

Les mots justes viennent sous les doigts, exactement, presque fiers de leur vérité.

conatus, la joie et la bière

Essayez donc, dans un café bruyant du 17ème arrondissement de Paris, d’expliquer à une jeune femme curieuse, mais qui trouve, à juste titre que “l’Ethique” , le gros bouquin de Spinoza est assez indigeste, difficile à lire, ce que peut être le “conatus”, concept clé du maître.

J’ai tenté cette semaine.

D’abord je lui ai demandé d’oublier le latin même si ça faisait moins chic et d’employer le terme d’effort ou de puissance.

Puis j’ai cité 3 phrases clefs du spinozisme :

Chaque chose, autant qu’il est en elle, s’efforce de persévérer dans son être. »
Éthique III, Proposition VI

« L’effort par lequel toute chose tend à persévérer dans son être n’est rien de plus que l’essence actuelle de cette chose. »
Éthique III, Proposition VI

« On ne désire pas une chose parce qu’elle est bonne, c’est parce que nous la désirons que nous la trouvons bonne ».

Et pour finir j’ai fait état des deux affects joie et tristesse.

Et j’ai cité Deleuze en sortant mon smartphone

Tout « facteur » qui vient augmenter notre puissance d’exister, et donc favoriser notre conatus, provoque inévitablement en nous un affect de joie. Inversement, tout facteur réduisant notre puissance d’exister provoque immanquablement de la tristesse.”
Le conatus constitue la puissance propre et singulière de tout « étant » à persévérer dans cet effort pour conserver et même augmenter sa puissance d’être.

Et j’ai continué, en sirotant mon pastis.

Un appétit. Si l’on a faim de soi, on persévère de soi, on grossit presque de soi. Joie. Si on le perd, on maigrit de soi. Tristesse.

Joie/tristesse.

On persévère donc dans son être, par cet effort de soi (conatus)

La jeune femme a commandé une bière, m’a regardé, a souri et m’a dit.

“la bière m’aide à persévérer dans mon être et me rend joyeuse”

C’est une jeune femme extra. Extra.

Michel Béja