Il y a fort longtemps, très jeune, je passais des heures entières, surtout la nuit, avec un mauvais casque branché sur un magnéto à bandes, gavé de musique mal enregistrée à la radio, à découvrir la musique classique qui n’était pas celle des quelques microsillons 33 tours qui traînaient ça et là chez des amis dont les parents donnaient à voir leur minuscule culture musicale pour entrer dans des cercles fermés dont la musique n’était pas le centre actif.
Je me souviens avoir été ébahi par le deuxième mouvement du trio de Schubert, op 100, surtout l’Andante. Je criais partout que c’était là un chef-d’œuvre. On riait, Eddy Mitchell étant presque incompatible avec cette clameur débridée, débraillée.
Puis, des années plus tard, en 1975, il y a donc 50 ans, tous se sont extasiés sur le même andante, quasiment la musique du film Barry Lyndon, réalisé par Stanley Kubrick.
Ne reniant pas mes choix de jeunesse, j’ai répondu un jour à une grande musicienne que j’aimerais l’entendre au-dessus de mon cercueil. La musicienne fit une moue absolument réprobatrice, en me regardant fixement.
Je ne comprenais pas.
Elle me l’a expliqué lorsque nous nous sommes trouves seuls : comment, moi, qui connaissait les morceaux les plus difficiles, ceux de Scriabine de De Falla, racontait avec ferveur l’imposition de la difficulté, hors de la facilité mélodique, pouvais magnifier cette musique devenue par le film de Kubrick, populaire et trop connue pour être glorifiée,une musique de novice. Une sorte de “lettre à Élise”
Le snobisme s’était installé, classiquement, dans l’inconnu ou la déviance. Flaubert ou Balzac étaient démodés. Et la mélodie, comme la belle page, rangée dans ce qui était laissé au peuple. Dvorak qu’il faut savoir bien prononcer (Dvorjak) pour ne pas être jeté dans la populace, constituait avec Malher une musique que le peuple ne pouvait appréhender.
Je décevais et me comportais donc comme un novice que je n’étais pas. Grande bévue en société. Je n’en ai pas démordu. Je crois avoir répondu que le nombre d’admirateurs ou la connaissance immédiate, la popularisation, n’effacaient pas la grandeur.
Je donne l’Andante du grand trio de Schubert, musique du film précité, joué merveilleusement par l’immense Trio Wanderer. Tans pis si vous le connaissez et que c’est du ressassé. On ne se lasse jamais d’un bon pain quotidien.
https://youtu.be/e52IMaE-3As?si=I2lbIqKiJbL-7uTB