le théâtre, même pas en songe

“La vie est un songe”, Calderon. Mise en scène Clément Poirée.

J’ai, ici, dans un autre billet, vanté l’extraordinaire pièce de Calderon, « la vie est un songe ». (“La vida es sueno, y los suenos suonos son. La vie est un songe et les songes sont des songes”). On peut cliquer ci-dessous et revenir. Ou s’abstenir et continuer…

Immense Calderon, beauté pure des mots

On m’a demandé, au téléphone, dans quel théâtre je l’avais vu pour la dernière fois et quel était le metteur en scène.

Je n’ai pas répondu, prétextant, pour vite raccrocher, un autre appel entrant, professionnel.

Il est assez rare que dans ces billets, je livre une minuscule conviction profonde « personnelle », d’un état d’âme, m’en tenant à l’affirmation d’une adhésion à une « pensée » philosophique ou théorique. Du moins de son exposé puisque rien ne peut venir de moi, même la plume qui m’a été juste donnée, dans l’histoire structurée de son apprentissage, à la mesure de sa possibilité future qui n’était pas une nécessité. J’approuve ou désapprouve. Ce qui n’est rien. Ou presque rien.

A vrai dire, ce mutisme du soi est général et il n’est d’autre espace d’écriture dans lequel j’exprime un soupçon de « for intérieur », le journal intime, qui est loin de la biographie réservée, étant un genre que j’abhorre, la mise en scène policée dans la belle écriture graphique qui accompagne l’exacerbation de la confidence me paraissant suranné ou ridicule. Je l’ai répété un million de fois et un beau stylo qu’on a pu m’offrir ne sert qu’à noter dans un cahier quelque extraits que je pourrais tout aussi bien taper dans mon bloc-notes. Mais je fais honneur au stylo, rien qu’au stylo, dans sa beauté intrinsèque, pour qu’il vive, et non au « cahier » et à son contenu. Il pourrait d’ailleurs, juste trôner sur un bureau. D’autant plus que je ne sais plus écrire, le clavier ayant balayé pleins et déliés, enfouis dans un beau passé romancé, du côté de l’École primaire. Elle est un bonheur dans les souvenirs de plume sergent-major ou d’odeur de craie blanche, même si la cour de récréation n’est pas toujours le lieu du souvenir joyeux. Beaucoup y ont subi leurs premières déceptions sur la relation aux êtres.

Quant au cahier, nécessairement beau, sur lequel on peut écrire, il ne devrait qu’être que comme le puits dans lequel le regard se fixe, sans y plonger. L’objet et sa potentialité, sa virginité presque, valent mieux que la déchirure de sa fonction, celle pourquoi il sert (à écrire). Comme un diamant qu’on taille pour une reine, qui ne supporte pas le sacrilège de son être flamboyant. Stylo et cahier comme des papillons au-dessus de vous, qui ne viennent jamais se poser. Pour ne pas abimer leurs ailes dont on sait qu’un simple toucher vient massacrer leur porteur.

On pourrait, ici, me dire que dans ces lignes, je me confie et frôle les contours de l’écriture d’enlacement. Rien ne serait moins vrai. Relisez : je dis que je ne me confie pas. Il est vrai que c’est personnel, mais sans sonde du grand « moi » qui transperce la poitrine. J’ai aussi répété un milliard de fois que rien ne vaut le testament de trois pages, mon invention, que je conseille à tous, dans lequel on résume, dans une synthèse finale, sa vie, ses joies et ses désillusions, en vilipendant ceux qui vous ont fait du mal, en employant le dithyrambe à l’endroit de ceux qui vous ont aidé à bien vivre. Un testament sur les êtres, le reste n’ayant aucune importance. On peut le réécrire toutes les semaines. Trois pages à remanier sans cesse. Trois pages réelles jusqu’au dernier instant. Ceux qui nous ont fait du mal pourraient le recevoir, le jour de notre disparition, par un clic, avant le grand départ. S’il nous reste cette force.

Mais, en levant les yeux, plus haut dans le texte, en me relisant, je suis certain que ceux qui ont commencé à me lire se demandent que viennent faire ces digressions qui tombent sur la page alors que je ne faisais que narrer une conversation téléphonique sur Calderon.

J’y viens. Il s’agit de théâtre.

Mais, soucieux de la documentation, s’accompagnant ici de l’extase devant le texte et le propos du grand dramaturge madrilène, de la période baroque, il faut quand même puisque je cite Calderon d’y revenir avant de, vous l’aurez compris, asséner une confidence que l’on peut attendre lorsque l’écrivant commence à dire « je n’ai jamais… »

Donc Pedro Calderón de la Barca (1600-1681, est un poète et dramaturge espagnol, madrilène, auteur prolixe. Mais son chef-d’œuvre est une pièce de théâtre dénommée « la vie est un songe »

L’action se déroule en trois journées, trois bouleversements, qui vont de la soumission à la révolte et de l’apologie du plaisir à la volonté de bannissement de la jouissance. Trois journées métaphysiques.

L’histoire : Basile, roi de Pologne féru d’astrologie, est certain que son fils, à naitre, sera un tyran. Sa femme meurt d’ailleurs en couches avant de mettre au monde Sigismond. Il le cache, l’enferme, et personne ne connait son existence. Plusieurs années plus tard, dans le repentir, le Roi Basile décide de lui redonner son rang de prince, mais juste pour une journée. On verra, se dit-il, si la prédiction se réalise (le mal et la tyrannie), le prince sera endormi et renvoyé dans son cachot. On lui dira alors que tout ceci n’était qu’un rêve…

Mais comment peut-on imaginer que cet enfnt enfermé, comme un animal, ne se révèle pas animal. Tout se passe comme si le Roi avait configuré ce destin

Sigismond est dans la rage, par ses désirs, par ses pulsions, dans l’instinct, dans la violence, le meurtre, presque le parricide. Les personnages de la pièce qu’il serait ennuyeux de nommer et décrire analysent, comprennent, doutent. Rosaura, Clothalde, Astolphe et les autres.

Trois journées, trois hallucinations, dans le fantastique absolu. Je donnerai plus bas le synopsis.

Ce texte, cette invention de l’esprit qui se fond dans une pièce de théâtre m’a fasciné, presque terrorisé dans sa vérité, celle du songe de la vie.

Mais, encore, quel rapport avec un raccrochage intempestif ?

Je le dis enfin : je n’ai jamais vu la pièce. Ce qui est anodin et peut se concevoir, le texte étant disponible. Mais, ce que je n’ai pu avouer à l’interlocuteur, en raccrochant pour ne pas entamer une longue conversation et le désoler, c’est que je n’aime pas le théâtre, n’y vais jamais, que la dernière fois que j’y suis allé, il y a un siècle, invité, placé au premier rang, c’est pour, honteux, au bout d’un quart d’heure, partir subrepticement. Ce que je n’ai pu faire, le bruit du dossier se rabattant lorsque je me suis levé, presque à genoux, a fait un bruit fracassant qui a envahi la scène, suspendant la parole des acteurs et sidérant la salle, par cette outrecuidance. Je suis parti en courant, suis entré dans le premier café, essoufflé, pour commander, au bar, un verre de Crozes-Hermitage.

Je pourrais – ça serait la moindre des choses- expliquer pourquoi je n’aime pas le théâtre. Et ce alors que j’étais le premier des abonnés au théâtre municipal, dans la capitale de mon pays natal, à faire la queue pour jouir de Racine et Molière dans un fauteuil de velours rouge, dans des rangées vides.

Mais ici, la désuétude, comme à l’Opéra l’emportait. Je puis, simplement dire que les acteurs sur scène de théâtre me dérangent, qu’ils ne sont justement pas dans la désuétude et qu’ils jouent, comme le garçon de café de Sartre (mais, oui, vous connaissez ou allez voir en ligne), à jouer à être acteur et j’en suis gêné plus pour eux que pour moi.

Je me dois d’écrire plus longuement sur le sujet. Je le promets. Sans jouer à celui qui écrit.

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